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point de vue géographique est une continuation du territoire des États-Unis. La mer américaine, que par habitude on appelle encore golfe du Mexique, baigne les côtes de cinq des états de l’Union ; le grand fleuve du Mississipi arrose la moitié du continent nord américain, et constitue avec ses tributaires le système de navigation le plus vaste qui soit au monde ; une flotte ennemie qui en temps de guerre tiendrait le port de La Havane porterait aux intérêts de tout ce pays un préjudice incalculable. D’autre part, avec ses 700 lieues de côtes, ses ports nombreux, ses forêts où abondent les bois de construction, Cuba, aux mains d’une nation maritime, doit devenir bien vite un magnifique arsenal. Qu’on songe après cela aux liens multiples que créent entre les deux peuples non pas seulement le fait du voisinage, mais les besoins commerciaux et les intérêts de tout genre, qu’on mesure la redoutable puissance de l’Union, ses forces immenses, l’attraction fatale que doit exercer un si grand état sur les états limitrophes plus petits, et l’on se croira peut-être en droit de conclure avec M. Valiente que les Antilles tôt ou tard seront américaines.

Un fait certain, c’est que depuis longues années déjà Cuba excite l’attention ou, pour mieux dire, les convoitises des hommes d’état américains. En 1823, consulté par le président Monroe sur la politique à suivre vis-à-vis des puissances européennes, l’illustre Jefferson, l’auteur de la déclaration de l’indépendance, répondit, parlant de Cuba, que l’acquisition de cette île lui semblait des plus utiles pour les États-Unis, qu’il fallait cependant éviter la guerre, s’en remettre aux circonstances, et pour le moment repousser sans faiblesse toute ingérence étrangère dans les affaires cisatlantiques. C’est ce programme, fidèlement suivi par les États-Unis, qui a pris le nom de « doctrine de Monroe » et se résume dans l’axiome fameux : l’Amérique aux Américains. Quelque temps après, Bolivar, le libérateur de l’Amérique du Sud, conçut le projet de former avec les anciennes colonies espagnoles une ligue où entreraient les Antilles, également délivrées ; mais il trouva dans l’opposition du cabinet de Washington un obstacle insurmontable. Celui-ci voulait en effet réserver l’avenir ; devenue membre de la ligue du sud, Cuba eût été perdue pour jamais. À la mort de Ferdinand VII, quand la guerre dynastique soulevée par don Carlos mit en danger le trône d’Isabelle II, le cabinet américain put croire un moment à la réalisation de ses vœux. En Espagne, les caisses étaient à sec, les besoins de la guerre immenses : on sonda le gouvernement de Madrid sur le prix qu’il exigerait pour la cession de Cuba ; les négociations étaient en bonne voie, et la somme était à peu près fixée à 500 millions, quand une indiscrétion vint tout perdre : l’Angleterre, prévenue à temps, fit avorter le projet. En 1852 enfin, justement inquiète de l’avenir