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des économistes, des administrateurs, s’adjoignaient aux honorables médecins qui avaient formé le noyau de l’Association française contre l’abus des boissons alcooliques. En moins de deux années, la société a pris un développement considérable; elle publie un bulletin, elle répand des brochures destinées à éclairer le public sur les dangers des spiritueux; elle agit sur les chefs d’industrie et sur les instituteurs, elle décerne des récompenses, elle provoque des mesures administratives et des améliorations dont notre pays tout entier devra lui être reconnaissant. — La société française a adopté un principe moins exclusif et moins radical que les associations étrangères : celles-ci poursuivent l’abstinence absolue des boissons alcooliques, vin, bière, liqueurs de toute espèce, et leur doctrine, connue d’abord sous le nom de teetotalisme, aujourd’hui sous celui de néphalisme, compte plus de 3 millions d’adhérens en Angleterre; mais elle n’aurait pas de chance d’être accueillie chez nous. La ligue française est seulement une ligue contre l’alcool; elle se propose un but pratique, celui d’encourager la substitution des boissons inoffensives et salutaires, comme le thé et le café, aux liqueurs spiritueuses, en dehors des repas, dans les réunions d’ouvriers, avant le travail ou après la journée finie. Elle accepte et préconise l’usage de la bière, surtout du vin naturel dont le titre alcoolique n’est pas exagéré par les pratiques du vinage; elle ne méconnaît point les qualités généreuses et hygiéniques d’un produit qui est en même temps l’un des élémens les plus importans de notre richesse nationale.

De fait, le vin ne se prête pas à un abus aussi facile que les liqueurs spiritueuses. Il ne renferme généralement qu’une proportion d’alcool assez faible, variant de 9 à 11 pour 100. La substance active et enivrante s’y trouve ainsi diluée et par conséquent atténuée dans ses effets; la dilution s’exagère encore, si le vin est pris pendant le repas et réparti dans toute la masse des alimens. L’effet toxique et pernicieux exige alors l’absorption de quantités assez considérables que l’estomac n’est pas toujours en humeur de supporter; il se révolte le plus souvent contre le surcroît qui lui est imposé. Il n’est pas aisé de dompter la répugnance de l’estomac et de devenir un grand buveur; c’est un art difficile, qui aux temps de la décadence romaine avait ses règles, ses pratiques et ses admirateurs. Peu de buveurs seraient capables aujourd’hui de l’exploit de ce Novellius Torquatus qui avait conquis la faveur de Tibère et le consulat en avalant d’un trait devant lui trois congés (9 litres 1/2) de vin de Falerne.

Un moyen aussi laborieux d’arriver à l’ivresse n’aurait pu convenir au génie moderne, qui simplifie tout. Par la distillation, il