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industriels n’étaient pas encore employés pour la consommation ou le vinage.


II.

Les anciens n’avaient pas su opérer la distillation du vin et en isoler la partie volatile et inflammable, l’esprit subtil et ardent si commun aujourd’hui sous le nom d’esprit-de-vin. La cornue et l’alambic sont des inventions du moyen âge ; le premier alchimiste qui eut l’idée de soumettre dans ces appareils le vin à l’action du feu découvrit l’alcool : il fut le premier « bouilleur de cru. » On fait honneur de cette inspiration à Arnaud de Villeneuve, célèbre savant qui fut médecin de Pierre III d’Aragon vers l’an 1280 ; mais il est certain que celui-ci ne fit que vulgariser la préparation de cette substance, qu’il avait apprise en Espagne des médecins arabes. Il devint l’historien de cette « eau de vin » ou « eau de vigne, » aqua vini, aqua vitis, et il lui attribua, entre autres vertus merveilleuses, celles de guérir la plupart des maladies, « de retarder la vieillesse et de nourrir la jeunesse. » De là le surnom d’eau-de-vie donné à ce prétendu régénérateur de l’humanité, que plus tard et avec plus de raison les successeurs d’Arnaud appelèrent « l’eau de mort » ou le « démon alcool ; » Guy Patin disait que cette eau inestimable faisait vivre ceux qui la vendaient, mais tuait ceux qui en usaient. Au milieu de tous ces débats, le nom arabe d’alcool a prévalu.

L’alcool a donc été introduit par les médecins, et comme un médicament des plus précieux. Malheureusement les maladies qu’il a causées sont plus nombreuses que celles qu’il a guéries; toutefois il a rendu des services. On l’a dit, il n’y a point de substances pernicieuses, il n’y a que des emplois pernicieux, et, comme le prétend Montaigne, « c’est nous qui corrompons par nostre maniement les choses qui d’elles-mêmes sont belles et bonnes. » Dans ces dernières années, une école médicale s’est fondée en Angleterre qui a tenté de systématiser l’usage de l’alcool et d’en faire une méthode de traitement général des maladies fébriles et inflammatoires. Le promoteur de ce mouvement, le médecin R. Bentley Todd, a résumé sa doctrine dans un ouvrage publié en 1860 à Londres, sous le titre de Clinical Lectures. Le traitement à l’alcool a été adopté en Allemagne; l’un des médecins de l’Hôtel-Dieu de Paris, M. Béhier, l’a introduit dans la pratique française, et l’a employé avec succès dans les formes adynamiques de la fièvre typhoïde, de la pneumonie, dans les cas en un mot où il existe une dépression considérable des forces. Administré judicieusement, c’est-à-dire à doses fractionnées, l’alcool a pu produire ainsi les plus heureux résultats. La potion de Todd, qui n’est essentiellement qu’un mélange d’alcool et