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par le médecin, le jeune malade soupira amèrement et dit, les larmes aux yeux, à peu près ce qui suit : « C’est fini, je le sens bien, je vais mourir, vous ne pourrez pas m’en empêcher. Je n’avais jamais quitté la Bretagne, j’étais content, j’étais riche, j’étais heureux; mon père est mort sans m’avoir jamais grondé et m’a laissé faire tout ce que j’ai voulu ; j’ai refusé d’aller au collège, et mon éducation s’est faite au château; j’ai grandi, élevé et instruit par le curé, et j’ai mené la vie insouciante, honnête et pure d’un gentilhomme breton. Qui m’eût dit que je quitterais jamais le Finistère et que je viendrais mourir sur un lit d’hôpital à la porte de Paris! J’ai bien senti, le jour de mon départ de la Bretagne, que c’en était fait de moi. J’étais à Villiers, à Champigny, j’ai fait comme les autres, je me suis battu, mais Dieu n’a pas voulu de moi. Il a voulu m’éprouver davantage, et je respecte sa sainte volonté. Si vous saviez comme je souffre ! Ne plus revoir mon château, les bois, les troupeaux, mon cheval et mes chiens ! Que Dieu abrège ma souffrance et qu’il me pardonne ma faiblesse!.. Comme le canon gronde fort ce matin, ne restez pas ici, la salle va s’écrouler, ma dernière heure est proche, et je vais me préparer à mourir en bon chrétien... » Le 23 janvier, le malade a le pouls à 110, la peau sèche, l’œil brillant, du délire, et il meurt le 28 à dix heures du matin.

M. Benoist de La Grandière donne sur la nostalgie chez les différens peuples des détails bien curieux. Les Français, justement parce qu’ils sont plus que tous les autres attachés à leur pays et éprouvent une véritable répugnance à s’expatrier, sont aussi ceux que la nostalgie atteint de préférence. Les habitans des départemens de l’ouest, surtout les Bretons, puis des provinces méridionales et de la Corse, y sont particulièrement prédisposés. La vie si religieuse, les mœurs si invariables, les coutumes si caractéristiques qui se sont perpétuées en Bretagne créent entre le sol et l’habitant de la vieille Armorique des liens qui ne se relâchent pas impunément. — Les Suisses aussi aiment beaucoup leur pays et ne s’en éloignent qu’avec regret. La nostalgie n’est pas rare en Italie, surtout depuis que les conscrits sont transportés d’une extrémité à l’autre du royaume. De 1867 à 1870, l’armée italienne a présenté un total de 203 cas de nostalgie essentielle, dont 8 décès. Les Anglais et les Allemands émigrent plus volontiers. Les Anglais surtout sont préservés de la nostalgie par leur esprit aventureux, et l’on peut dire que la patrie est pour eux partout où flotte le drapeau britannique. Le caractère cosmopolite des Allemands est moins prononcé. Pendant la dernière guerre, la nostalgie a fait d’assez nombreuses victimes parmi les soldats de la landwehr; dans une récente excursion en Alsace, j’ai pu m’assurer qu’elle atteignait les soldats de Silésie et de Poméranie.

Sagar dit qu’on aime d’autant plus son pays qu’on est plus près de l’état de nature. Cela est très vrai. Les sauvages, les hommes des civilisations