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façon à en prévenir la fatale influence. Pour cela, il importe d’occuper activement, de distraire par tous les moyens possibles les soldats et les marins qu’on éloigne de leur pays. Il paraît d’ailleurs prouvé que la nostalgie est beaucoup moins fréquente dans la marine que dans l’armée de terre, et cela tient probablement à la sollicitude avec laquelle les officiers de marine s’efforcent de pourvoir à l’amusement des matelots et de les prémunir contre l’ennui. Rien n’est gai comme un équipage. L’ordre n’y perd rien, et l’obéissance n’en est que plus empressée. « Un bâtiment où on ne chante pas, dit M. Fonssagrives, nous a toujours fait suspecter le régime moral auquel il est soumis. » Pendant la campagne de Chine, à bord du Forbin, dont tout l’équipage était composé de Bretons, toutes les grandes manœuvres se faisaient au son du biniou national.

Chez les nostalgiques dont la maladie a pour cause l’isolement où les réduit la langue qu’ils parlent, le commerce des gens qui savent cette langue est souvent un remède des plus efficaces. Esquirol, s’apercevant que tous les Bretons placés dans une des salles de la Salpêtrière présentaient des symptômes plus graves que les malades couchés dans les autres salles de cet hôpital, fit placer dans cette salle des étudians bretons, les invitant à causer amicalement avec leurs compatriotes dans leur dialecte natal. Il n’en fallut pas davantage pour guérir les nostalgiques. — Pendant le siège de Paris, des faits analogues se sont présentés fort souvent. Dans les ambulances, on voyait des paysans, surtout des Bretons, maigrir et s’affaiblir à vue d’œil. Le médecin les interrogeait; ils ne répondaient pas, parce qu’ils ne comprenaient que le patois de leur pays. On finissait par découvrir quelqu’un qui fût capable de s’entretenir avec eux dans ce patois, de les consoler, de les remonter, et on voyait ces pauvres désespérés recouvrer les forces et l’espérance. Lorsque tous les moyens ont échoué et que les circonstances ne permettent pas de renvoyer le nostalgique dans son pays, certains stratagèmes peuvent encore améliorer son état. Pendant le blocus de Mayence, les médecins firent annoncer aux soldats décimés par le typhus et la nostalgie que le général en chef avait obtenu des assiégeans un libre passage pour les convalescens. Cet espoir ranima le courage d’un grand nombre de ces malheureux. Marceray guérit un moine employé dans un hôpital militaire en lui faisant lire une lettre apocryphe par laquelle son supérieur l’autorisait à retourner bientôt dans son couvent. — Il en est de la nostalgie comme des autres névroses, où les drogues sont presque complètement inefficaces, et où l’on ne peut attendre quelque amélioration que d’une judicieuse et habile intervention morale du médecin.


FERNAND PAPILLON.


Le directeur-gérant, C. Buloz.