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Au dessert, on porta deux toasts, qui les touchèrent profondément, le premier « à sa majesté l’empereur Alexandre II, » le second « aux braves défenseurs de Sébastopol. » — « Dans tout ce qu’ils disaient, continue le narrateur, il était facile de remarquer beaucoup de sympathie pour la nation russe. » À bord du vapeur français le Panama, ils trouvèrent le même accueil chez les officiers de marine. « Le quatrième jour du voyage, au lever du soleil, nous arrivâmes devant Constantinople, au milieu des splendeurs du Bosphore. On jeta l’ancre : les marins nous donnèrent des costumes civils pour nous éviter d’être exposés, dans la ville, aux importunités des curieux. Ils nous accompagnèrent à terre, où nous pûmes acheter des vêtemens et des objets de toilette. Les jours suivans nous allâmes visiter la ville, également en compagnie d’officiers français. C’était une grande fête musulmane ; les cérémonies de la mosquée de Sainte-Sophie nous étonnèrent par leur magnificence. Comme nous étions en bottes, les Turcs ne nous permirent pas d’entrer dans la nef, mais on nous fit monter dans les galeries intérieures qui font le tour de l’église. » À Toulon, « on nous conduisit à la citadelle, où l’on nous garda dix jours, on ne nous laissa pas sortir pendant ce temps ; mais il nous vint beaucoup de visiteurs, surtout des dames, et on pouvait voir qu’elles appartenaient à la plus haute société. Le dixième jour, ayant reçu les instructions du ministre de la guerre, le commandant nous déclara que, si nous voulions engager notre parole d’honneur de ne pas sortir de France sans autorisation, on nous permettrait (officiers et junckers) de vivre en liberté dans telle ville de France que nous choisirions, Paris excepté. Les soldats devaient rester à Toulon. Nous prîmes l’engagement demandé, et d’après les conseils des officiers français nous demandâmes Roanne, département de Clermont, la vie y étant à meilleur marché qu’ailleurs. On nous remit des passeports, des papiers pour voyager en poste, et un mois de solde. »

Dechtchinski ne resta pas longtemps à Roanne. On l’appela à Paris, où il devait être échangé. Tous ceux qui étaient alors dans le même cas, — savoir un général, 2 officiers d’état-major, 31 officiers et 8 junckers, — furent invités à se rendre aux Tuileries. Dechtchinski raconte un singulier épisode de leur présentation à l’empereur Napoléon. « Il s’entretint courtoisement avec nous, demanda combien nous étions qui devions repartir pour la Russie, et passa dans une autre chambre d’où il revint un instant après avec un papier. C’était un bon de 2,000 francs sur le trésorier de la maison impériale. » Les prisonniers se montrèrent fort piqués de cette libéralité et refusèrent le papier, déclarant que leur gouvernement ne leur laissait rien à désirer. Ils passèrent ensuite sept jours à visiter les curiosités de la capitale, puis ils partirent pour