Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attirer de reproches à sa mère. Celle-ci lui ayant dit : — Si tu me mets en retard, tes oncles se fâcheront, — elle s’empressa de la suivre de toute la vitesse de ses petits pieds nus, sans plus se laisser distraire. Cependant, malgré sa bonne volonté, elle avait quelque peine à sauter de roche en roche, et le trajet prit beaucoup de temps. Jeannie calcula que la retraite de la mer ne durerait pas plus d’une heure encore; dans quel état allait-elle trouver Job? Ses jambes la soutenaient à peine en approchant de la cabane, dont une pierre retenait la porte, formée de branches entrelacées; elle frappa de plus en plus fort, puis, ne recevant pas de réponse, regarda dans l’intérieur par une étroite ouverture qui servait de fenêtre. Sur un lit de goémon desséché gisait ce qu’elle prit d’abord pour un vieillard. Job avait laissé pousser toute sa barbe, et ses traits, qui, sans régularité ni beauté réelle, plaisaient autrefois, éclairés qu’ils étaient par la vivacité du sourire, l’animation du regard, l’exubérance de la gaîté, de la jeunesse, une jeunesse indépendante des années, celle du cœur, étaient maintenant voilés de pâleur terne et grise. Ses mains, jetées devant lui sur la couverture de laine brune, paraissaient crispées par le désespoir plutôt que jointes par la prière. La tête de Jeannie ayant intercepté le rayon de soleil qui pénétrait jusqu’à lui, il entr’ouvrit ses yeux démesurément grandis et brillans de fièvre :. — Enfin, murmura-t-il, vous venez donc me prendre! — Comme la porte s’entr’ouvrait timidement, il ajouta : — Ce n’est que toi, Jeannie?

— Hélas! répondit-elle, Dieu sait que je donnerais ma vie pour vous rendre ceux que vous demandez; mais, là où elles sont, les chères âmes ne peuvent que vous attendre, et elles m’ont, envoyée vers vous.

— Je te crois, balbutia-t-il, je te crois. — Il tendait machinalement les bras, et elle y plaça la petite Reinette, quoique celle-ci se débattît un peu effrayée. — Le dernier que j’ai perdu avait cet âge-là, — dit Job après l’avoir regardée dans une sombre rêverie. La croix d’or qu’elle n’avait jamais cessé de porter attira tout à coup son attention. — Maharit! s’écria-t-il. — Et il embrassa le bijou avec un tel emportement que l’enfant se mit à crier. — Maharit! répéta Job à plusieurs reprises. Il fondit en larmes. Jeannie pleurait aussi, et pour la première fois depuis bien longtemps le pauvre homme sentit son cœur se détendre.

— Mon Dieu ! dit Jeannie, promenant des regards navrés autour de cette misérable hutte, est-ce bien vous qui pouvez vivre ici, Job?

— Va! bientôt je ne serai plus seul,, répliqua-t-il en montrant le ciel et avec un accent qui disait assez l’horreur du supplice auquel