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se donnèrent l’un à l’autre ce qu’ailleurs j’ai appelé de son vrai nom, l’amour dans le mariage. M. Vitet perdit sa femme le 12 février 1858. Il ne chercha et ne trouva de consolation que dans le progrès de sa foi chrétienne et dans le pieux souvenir de son bonheur.

Aux joies du foyer domestique étaient venus s’ajouter pour lui les succès littéraires. Il publia en 1833 son Histoire de la ville de Dieppe, en deux volumes; ce devait être le début d’une série d’histoires des principales villes de France destinées à montrer pourquoi et comment les divers régimes municipaux avaient été amenés à se fondre dans l’unité nationale. L’Histoire de Dieppe donnait l’exemple d’une narration claire et animée, sans lacunes et sans longueurs, propre à servir de guide dans une telle entreprise générale. Par malheur, l’entreprise ne fut pas continuée; l’exemple était trop difficile à suivre. M. Vitet fut élu le 8 mai 1845 à l’Académie française, en remplacement de M. Soumet, et son discours de réception, prononcé le 26 mars 1846, surpassa l’attente publique. Après avoir mêlé de fines et justes critiques à la louange de son prédécesseur, il revint à l’éloge avec une dignité morale et une équité littéraire rares et saisissantes. « Où sont, dit-il, les hommes qui obtiennent sans condition les dons que le ciel leur envoie? Le plus divin de tous les peintres trouva-t-il jamais sur sa palette ces teintes suaves et profondes qui naissaient d’elles-mêmes sous le pinceau du Corrége?.. Savoir aimer le beau dans les œuvres des hommes, c’est savoir accepter d’inévitables imperfections; les qualités ne s’achètent que par des défauts... Celles de M. Soumet partaient d’un principe unique, l’amour le plus vrai, le plus profond de son art... Ne l’oublions pas, messieurs, les qualités saillantes et exclusives sont, dans le domaine des arts, le plus sûr préservatif contre la médiocrité. M. Soumet appartenait à la famille des coloristes, il ne dessinait pas ses figures nues avant -de les draper, il n’étudiait pas les mouvemens de leurs muscles jusque sous l’épaisseur d’une armure,... et en même temps il aimait tous les beaux vers, ceux des autres aussi bien que les siens ; un grand succès était une fête pour lui, quelle que fût la main qui dût cueillir la palme... Cette généreuse passion, que purifiait encore le sentiment religieux, l’avait rendu comme étranger au monde ; il ne vivait plus que dans cette atmosphère des idées désintéressées où notre âme se dépouille de nos mauvais penchans et n’est pas même accessible aux plus innocentes faiblesses. Des titres, des honneurs lui furent offerts quelquefois par le roi Louis XVIII, qui prisait fort ses vers; le poète en fut presque offensé; il croyait trop à sa noblesse littéraire pour croire qu’il eût besoin d’une autre. Heureuse exaltation qui ne lui donnait pas seulement le premier des biens, l’indépendance, mais une vie