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de la vie; nourriture, vêtemens, mobilier, tout cela réduit au strict nécessaire, ainsi le veut Auguste, dont c’est de plus l’ordre formel que nul individu, quel qu’il soit, esclave ou libre, n’ait accès près de la prisonnière à moins d’un permis de l’empereur portant signalement de la personne. À cette exorbitante surveillance, Sénèque donne pour motif l’éternelle raison d’état. A l’en croire, Julie avait dans Rome de nombreux partisans, toujours prêts à tenter un coup de main, si bien que lorsque, cinq ans plus tard, la triste victime de Pandataria fut transportée à Rhegium, cette mesure eut moins pour objet d’adoucir que d’assurer sa captivité en la mettant sous la garde d’une ville forte. La vieille Scribonia, jusqu’à la fin, partagea cet exil sans espoir, mais non pas sans consolation, car, dans ce tragique tête-à-tête la mère et la fille confondant leurs regrets, confondant aussi leur haine, Julie pouvait se flatter et croire qu’à la mort d’Auguste les choses s’apaiseraient; mais la rude matrone Scribonia connaissait mieux sa Livie, et durant ces quinze atroces années ne se fit pas une illusion. Auguste quitta ce monde, et son testament, loin de renfermer une parole d’amnistie, vint confirmer l’anathème. Julie, de même que sa fille, était exclue de la maison impériale, et le mausolée de famille ne devait pas recevoir ses cendres. Dans la mort comme dans la vie, le père implacable rompait toute communauté avec les indignes rejetons de son sang.


IV.

Après avoir de son côté huit ans langui en exil, Tibère est de retour dans Rome. Il s’agit maintenant de reconquérir le terrain perdu, il s’agit surtout de déblayer la place, car, si les circonstances l’ont débarrassé de l’odieuse créature à laquelle la politique d’Auguste l’avait uni, si l’infâme Julie est mise à l’écart, ses enfans encombrent les avenues. Combien sont-ils? Comptons : d’abord Caïus et Lucius César, héritiers présomptifs, puis Agrippa, leur frère, à peine âgé de quatorze ans, plus une fille, Julie également, héritière des droits de sa mère. C’est trop de monde tout cela pour Tibère. Peu de mois se sont écoulés depuis sa rentrée, et voilà que soudain Lucius César meurt à Marseille, étant sur le point de se rendre à l’armée d’Espagne. Tibère prononce le discours funèbre, et déploie à cette occasion des trésors d’éloquence et de pathétique, les yeux se mouillent à l’entendre, on se dit : « Quel terrible coup vient de le frapper là, fassent les dieux qu’il s’en relève! » Dix-huit mois se passent, et Caïus, l’aîné des trois frères, expire en Lycie. Rendre Livie et Tibère responsables de ces deux morts, dont l’une a lieu dans les Gaules et l’autre dans l’extrême Orient, ce serait affirmer beaucoup; mais le poison n’a-t-il point ses mystères, et voyons-nous que ses