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l’exemple du contraire; criminelle d’abord, elle aurait terminé ses jours dans la pleine satisfaction du but atteint. Tacite va plus loin ; il veut que ce soit purement et simplement par égard pour cette mère vénérée que Tibère ait gardé tant de modération pendant la première partie de son règne, et que ses mauvais instincts aient dû pour éclater attendre qu’elle fût morte. Il est vrai que l’auteur des Annales ne cite aucun fait à l’appui de cette prétendue bonne influence d’une personne représentée ailleurs sous les traits d’une horrible empoisonneuse. Livie fut le tracas, le chagrin, le désespoir du règne de Tibère, et cela devait être; elle avait calculé faux : dans ce fils, qu’elle comptait gouverner à son gré, Livie avait trouvé son maître.

Le destin a de ces leçons, toujours renouvelées, mais dont personne ne profite. Livie n’était point la première à qui cette histoire d’ambition maternelle déçue fût arrivée. Agrippine, elle aussi, prendra de longue main la cause de Néron ; à ce jeu de l’intrigue et du crime, elle apportera plus encore que Livie, laquelle au moins sut réserver sa pudeur de femme. La fille de Germanicus ne réservera rien; par le fer et par le poison, par l’adultère et par l’inceste, elle poursuivra son idéal d’absolue domination. — Eh bien! et après? Les mêmes démêlés, la même histoire. Tibère d’abord éconduit Livie avec toute sorte de révérences, puis, n’en pouvant plus, quitte Rome pour se débarrasser de ses obsessions. Moyen de comédie ! Néron emploie le procédé tragique, tue Agrippine; mais la situation ni la moralité ne diffèrent.

Livie n’est pas un caractère; ceux qui prétendent qu’elle avait en vue de réconcilier les deux grandes factions aux prises par ses œuvres, — d’unir et de fusionner le sang des Claude avec le sang des Jules, — lui font très gratuitement honneur de la politique de Tibère. Livie n’eut jamais l’esprit tourné que du côté de ses intérêts. Si l’intrigue est le commencement de la politique, elle ne dépassa point ce vestibule du temple; une fois installée, elle s’y tint et pour la vie. Auguste, bien que sous le charme, la forçait à transcrire sur le moment tout ce qui se disait dans leurs entretiens intimes, ce qui prouve qu’il n’y avait guère à se fier à la parole de Livie. Cette Romaine-là me rappelle une certaine Florentine de notre XVIe siècle : Catherine de Médicis était, comme Livie, née avec d’immenses appétits de domination qui ne furent jamais satisfaits. Incapables de s’imposer aux circonstances, elles eurent toutes deux l’art de les prendre par le dessous, habiles à tracer des circonvallations, à creuser des mines, et sachant au besoin s’effacer pour reparaître au moment favorable. Plonger du regard dans l’avenir, saisir les connexions qu’il peut avoir avec le présent, entrevoir le fruit