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morte; dans l’église, c’était un souvenir vivant qui montrait comment le culte nouveau se reliait au culte ancien, et qui faisait subitement apparaître à l’imagination du promeneur lettré le spectacle de l’affection si prolongée des populations rurales pour les coutumes religieuses du paganisme, affection qui dut être plus particulièrement résistante dans ces régions du Forez. Ce n’est pas sans raison que dans ce célèbre roman de l’Astrée, dont il a placé la scène au Ve siècle de notre ère, le très érudit Honoré d’Urfé a tracé le tableau d’une société rustique dominée par le vieux druidisme, qu’il montre en querelle non avec le christianisme, mais avec le paganisme romain, qui est venu altérer les croyances gauloises et envelopper de symboles menteurs la nudité des anciens dogmes.

Si le Forez resta jadis quelque peu en retard avec le christianisme, la ville de Feurs l’est restée bien davantage avec les lanternes. Non-seulement, à cette date du XIXe siècle, le moderne éclairage au gaz n’y a pas encore pénétré, mais les simples réverbères de notre enfance, les réverbères d’avant 1789, y sont inconnus. Comme au temps du druide Adamas, les habitans de Feurs s’éclairent la nuit des rayons de la lune, et, lorsqu’il arrive à cet astre de passer la soirée chez Endymion, ces descendans des bergers de la Loire et du Lignon restent plongés dans l’obscurité la plus profonde. Notez que Feurs est une des localités considérables du département de la Loire, qu’elle compte plus de trois mille habitans, et qu’elle est à proximité des houillères de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier, qui lui fourniraient, sans grands frais de transport, le combustible nécessaire à son éclairage. J’ai demandé si cette absence d’éclairage avait une cause, on m’a répondu que Feurs n’était pas une ville assez importante pour avoir une usine à gaz. Soit, mais au moins, ai-je fait observer, avec quatre ou cinq réverbères placés aux bons endroits, on aurait évité aux habitans le désagrément de se heurter de front dans l’obscurité ou le risque d’être écrasés par les camions qui descendent de la gare. — C’est vrai, m’a-t-on dit, aussi était-il venu, il y a six mois, un individu qui présentait un projet pour éclairer la ville, mais l’affaire n’a pas pu aboutir. Un fait historique fort intéressant résulte pour moi de cette absence de réverbères, c’est que, lorsque sous la révolution française les rares jacobins de Feurs s’avisaient de vociférer la fameuse chanson les aristocrates à la lanterne, ils parlaient pour la plupart sans bien savoir ce qu’ils disaient et d’une chose qu’ils ne connaissaient que par ouï-dire. C’est ici cependant qu’un des proconsuls de la terreur fit exécuter un nombre considérable d’habitans de Montbrison comme coupables de royalisme, mais il les fit exécuter par la guillotine, car, s’il avait dû les pendre, les réverbères de la ville n’auraient pu lui fournir ni un poteau ni une corde.