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aux choses du passé, car rien ne rattache davantage au passé que d’être obligé de se tourner vers lui pour y trouver ses jours de puissance, et ce fut là le cas de cette ville. Aux deux périodes les plus importantes de notre histoire moderne, Montbrison témoigna vaillamment de son esprit conservateur. Pendant les guerres religieuses, cette ville fut ligueuse à toute outrance, et ligueuse même passé la dernière heure et lorsqu’il n’y avait plus de ligue; toutes les cités rebelles s’étaient rendues successivement à Henri IV, Mayenne en avait fini depuis longtemps avec ses tergiversations tortueuses et sa diplomatie à triple jeu, Mercœur lui-même avait déjà entamé des pourparlers avec le roi, que Montbrison tenait encore sous le jeune Nemours avec une obstination digne d’une cause plus sensée. Un fait intéressant pour notre histoire littéraire se rattache à cette défense enragée de Montbrison, car nous verrons qu’il y faut très vraisemblablement chercher la cause première qui donna naissance à l’Astrée. Sous la révolution, Montbrison se montra aussi royaliste qu’il avait été ligueur au XVIe siècle, et lutta contre la terreur avec autant d’énergie qu’il avait lutté contre le premier roi bourbon; mais cette énergie lui fut plus fatale, l’huissier Javogue n’ayant pas précisément le même cœur que Henri IV. Cette robuste origine première et cet attachement constant aux traditions établies ont marqué Montbrison de leurs empreintes; par ses monumens, c’est une ville féodale de la plus belle époque; par sa physionomie, c’est une ville de l’ancien régime monarchique dans ce qu’il eut de meilleur et de plus aimable. Ce caractère très prononcé est encore beaucoup plus sensible lorsqu’on arrive directement d’une ville appartenant tout entière au mouvement contemporain, comme Saint-Étienne par exemple; alors le contraste entre ces deux genres de population s’accentue à merveille, et l’on éprouve un sentiment de repos à se trouver au milieu de braves gens dont la bonhomie de ton et la simplicité d’habitudes compensent quelque peu de lenteur dans les mouvemens et quelque gaucherie dans les façons. Il est si bon, par le temps où nous vivons, d’habiter parmi des gens qui ne sont jamais pressés ; on est au moins rassuré par là contre toute témérité agressive et toute ridicule présomption. L’Astrée, dont les personnages agissent avec une lenteur si marquée et n’osent jamais prendre une résolution qu’après des hésitations prolongées, donne précisément ce même sentiment de sécurité et de repos, et de nos jours cet esprit traditionnel de Montbrison, fait de douceur d’habitudes et de piété envers le passé, a trouvé son expression dans la poésie à demi familière, à demi mystique de M. de Laprade.

Les monumens de Montbrison, ai-je dit déjà, nous font remonter directement à l’époque d’adolescence et de jeunesse de cette ville, sous la domination de ces comtes issus des dauphins du Viennois qui