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Cet acte de sévérité des autorités fédérales a donné lieu à un débat mémorable à Berne dans les deux assemblées fédérales. M. Cérésole, président de la confédération, en a présenté une apologie éloquente qui a produit en Europe une vive impression. Avec une patriotique fierté, il a repoussé l’accusation soulevée contre le gouvernement fédéral de se mettre à la remorque d’une puissance étrangère dans sa politique ecclésiastique; en même temps il a décliné avec énergie toutes les tentatives du parti ultramontain pour faire intervenir l’Europe dans ce conflit, qui ne regarde que la Suisse. Tout en approuvant ce langage, il nous est impossible d’admettre la justification de l’acte de bannissement de l’abbé Mermillod, car pour l’accomplir il a fallu se mettre, de l’aveu même de M. Cérésole, au-dessus des lois; la preuve en est qu’on demande des lois nouvelles pour le légitimer à l’avenir. Tranchons le mot, c’est une mesure de salut public; les précédens empruntés à l’histoire de la Suisse ancienne ou récente ne lui enlèvent pas ce caractère. Rien n’eût empêché le gouvernement de Genève de signifier au délinquant que toute fonction lui était interdite comme curé de Genève, et, s’il passait outre, de le déférer aux tribunaux. Un moyen plus radical, dans le bon sens du mot, eût été de déclarer que l’état ne reconnaissait plus la fraction de l’église catholique de Genève qui lui refusait l’obéissance, et qu’elle n’avait plus qu’à se constituer à l’état d’association usant du droit commun. Enfin, en face de l’obstination de la curie romaine, le conseil fédéral eût été fondé à rompre toute relation diplomatique avec elle; il l’a bien fait quelques mois plus tard. (Tout était préférable à un exil sans jugement. Quand l’état puise sa faculté de sévir dans la considération du péril, il est dans la voie de l’arbitraire sans limite, car il mesure ses sévérités à ses inquiétudes. Transportez la politique si éloquemment défendue par M. Cérésole dans une démocratie menacée et puissante, vous aurez bientôt les violences de 1792.

Ce grand exemple de notre révolution a été trop perdu de vue dans les mesures prises par le gouvernement de Genève pour la réorganisation du culte catholique. Il a suivi les erremens de l’assemblée constituante en faisant comme elle une vraie constitution civile du clergé. Rappelons rapidement les faits avant de les juger. Le 11 janvier 1873, le conseil d’état, après avoir pris l’avis d’une commission consultative composée de vingt et un citoyens catholiques, présenta au grand-conseil, récemment renouvelé sous l’influence du conflit avec Rome, un projet de loi .statuant qu’à l’avenir les curés seraient nommés par les électeurs catholiques[1]. La prise

  1. Cette commission consultative, quoi qu’on en ait dit, ne peut être assimilée à une délégation régulière des catholiques de Genève, délibérant librement sur la réorganisation de leur église, puis traitant en leur nom propre avec le gouvernement.