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pour la société des membres nuisibles ou dangereux. » Déjà l’on fait le relevé des enfans en âge d’école à qui l’obligation devrait être imposée, de sorte qu’en ce point encore la Russie aura précédé l’Angleterre et la France.

En résumé, malgré les progrès relativement extraordinaires accomplis dans ces dernières années et constatés dans les rapports du ministre de l’instruction publique pour 1871 et 1872, la Russie a encore des sacrifices énormes à faire pour mettre l’enseignement au niveau atteint dans les pays les plus avancés sous ce rapport. Comme le montrait récemment ici même M. Anatole Leroy-Beaulieu[1], la Russie s’est trouvée retardée de plusieurs siècles par suite de l’occupation tartare, qui s’est prolongée jusque vers la fin du moyen âge; mais aujourd’hui, on vient de le voir, tous les pouvoirs constitués et toutes les classes influentes semblent décidés à regagner le temps perdu. Il faut s’en applaudir. Le développement complet de l’instruction publique dans l’immense empire de l’est est d’un grand intérêt pour l’humanité tout entière. Ce n’est que par la Russie que la civilisation peut pénétrer dans les vastes régions de l’Asie centrale. Nous avons vu avec quel succès des fonctionnaires dévoués organisent des écoles jusque parmi les hordes tartares et kirghises à l’orient du Volga. C’est de la même façon que les khanats pacifiés seront peu à peu amenés dans le cercle de la culture occidentale, et un jour, rien ne défend de l’espérer, les déserts de la Sibérie et de la Tartarie indépendante seront également peuplés et soumis aux influences civilisatrices de l’Occident. Enfin la race slave n’a jamais pu donner la mesure de son génie, parce que toujours elle a été morcelée en groupes séparés et asservis. Elle n’a pas encore apporté à la civilisation un contingent comparable à celui que nous devons aux branches latine et germanique. Toutefois elle possède des instincts et des institutions qui lui sont propres, et qu’on ne doit pas étouffer ou fausser par une imitation servile de l’Occident. Il faut au contraire respecter avec soin l’élément original russe, mais en lui assurant son plein épanouissement par la diffusion générale des lumières dans toutes les classes de la population.

Si nous n’avons pas hésité à donner ici des chiffres précis et des détails en apparence minutieux, c’est que les progrès de l’instruction dans l’immense empire de l’est intéressent autant l’avenir de notre Occident que celui de la Russie elle-même. On pourrait répéter à ce propos le mot inscrit sur une colonne plantée dans la lave, au pied du Vésuve : Res nostra agitur. Les destinées de la civilisation

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.