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que d’attention; mais, — nous avons eu l’occasion de le dire déjà, — dès que ceux qu’il aimait se trouvaient en cause, il ne consentait pas plus à sacrifier quoi que ce fût de leurs mérites présumés ou réels qu’il ne se sentait d’humeur à rien reprendre de lui-même une fois qu’il s’était donné. Ce fut donc tout entier qu’il se livra, tout entier qu’il ne cessa d’appartenir à Ingres, et, si le grand peintre put compter parmi ses disciples des admirateurs aussi convaincus de son génie, il n’en eut jamais de plus foncièrement attachés à sa personne, ni de plus zélés, de plus fervens dans les témoignages de leur respect.

Tandis que Baltard inclinait ainsi son intelligence et son cœur sous la bienfaisante domination du directeur de l’Académie, l’empire qu’il exerçait lui-même sur ses camarades permettait déjà de pressentir et justifiait d’avance celui qui devait un jour lui être attribué à Paris dans une sphère beaucoup plus vaste. Par la variété de ses connaissances, par la franchise de son caractère. Baltard, dès son arrivée à Rome, avait naturellement inspiré aux autres pensionnaires une confiance qu’augmentait encore son expérience personnelle des graves devoirs de la vie. Bientôt sa modeste demeure était devenue pour eux un centre où ils venaient chercher et où ils trouvaient soit d’utiles conseils pour leurs travaux, soit d’affectueux secours contre les tristesses de l’âme ou les découragemens de l’esprit. A de certains momens même, cette assistance n’était pas prêtée sous la forme de simples avis; elle consistait dans des mesures plus immédiatement efficaces, sauf, pour celui qui les prenait, à y sacrifier une bonne part de ses ressources et de son temps. C’est ainsi qu’à l’époque de la première invasion du choléra à Rome, en 1837, Baltard n’hésitait pas à recueillir chez lui, aux heures des repas, son camarade Simart, à qui la terreur avait presque fait perdre la tête, et que, un peu plus tard, lorsque celui-ci eut quitté Rome pour Naples, il s’employait à prévenir les conséquences fâcheuses qu’aurait pu entraîner cette absence, le tout avec une simplicité cordiale dont quelques mots d’une de ses lettres suffiront pour donner le ton. « Je suis allé ce matin à ton atelier, écrivait-il à Simart. Zaccarini (c’était le nom du praticien employé alors par le statuaire) y travaille tous les jours. Cependant je n’ai pas trouvé que ta figure d’Oreste[1] fût bien avancée. Ce motif ne t’empêchera pas sans doute de songer à ton retour, car tu as, comme on dit, plus d’un chat à peigner et particulièrement, mais sans allusion, le buste de ton compatriote[2]. Et ta Vierge de Troyes, y as-tu songé? Question oiseuse, mais l’as-tu composée? Si ta réponse est

  1. Aujourd’hui au musée de Rouen.
  2. Il s’agit ici du buste de M. Jourdan, dont le conseil municipal de Troyes venait de confier l’exécution à Simart, et qui est conservé aujourd’hui dans le musée de la ville.