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Vêtus d’une dalmatique blanche semée de larmes noires, ornée de têtes de squelettes posées sur des ossemens entre-croisés, ils épouvantaient les enfans, et, si l’on en croit le poète Saint-Amant, faisaient hurler les chiens. Leur costume, à force de vouloir être lugubre, fut trouvé ridicule, et on le remplaça par la longue robe noire des avocats. Lorsqu’ils suivaient le convoi funèbre d’une personne de qualité, ils portaient sur la poitrine un écusson de carton peint, représentant les armes du défunt, que l’on applique aujourd’hui sur les faces latérales du corbillard.

Leur nombre n’était pas considérable; ils furent douze au début, dans le XIIIe siècle, vingt-quatre sous Louis XIV; on en compte trente au moment de la révolution. Ils ne criaient pas que les corps : ils criaient le vin à vendre, les enfans égarés, les chiens perdus; ils criaient « les choses estranges, » dit la grande ordonnance de 1415. Petit métier, mais bon métier : 5 sous parisis par cri; en ce temps-là, c’était presque une somme. Cependant ils avaient d’autres ressources plus amples et plus certaines ; spéculer sur la douleur et sur la vanité des gens, c’est un sûr moyen de faire fortune; tous ceux qui l’ont employé en savent quelque chose. Depuis le XIIIe siècle, les crieurs-jurés, que le peuple de Paris appelait familièrement les « clocheteurs des trépassés,» étaient en possession de fournir ce que l’on jugeait nécessaire aux funérailles des particuliers, des seigneurs et des rois. Charles V détermine leurs privilèges, qui furent maintenus par Charles VI, par Henri II, par Louis XIII et par Louis XIV. L’ordonnance de 1672 confirma leurs attributions, spécifia leurs devoirs et leur imposa un tarif. Ils eurent souvent de vives contestations avec le clergé, qui, propriétaire des cimetières et maître d’accorder la sépulture dans les églises, revendiquait le droit de subvenir à tout ce qui concernait les cérémonies funèbres. C’était là un sujet de conflits renaissans qu’on ne parvenait pas toujours à éteindre; la part du clergé avait cependant été faite par un règlement très sage que Chamvallon, archevêque de Paris, publia le 30 mai 1693, et que le parlement homologua le 10 juin de la même année. Les crieurs-jurés relevaient directement de la prévôté des marchands, comme aujourd’hui l’administration des pompes funèbres, qui leur a succédé, relève du préfet de la Seine; mais nul des employés de celle-ci n’est forcé d’assister aux obsèques des personnes royales, en robe drapée et une sonnette d’argent à la main, ainsi que cela était impérieusement prescrit aux clocheteurs des trépassés. De même les allures du clergé ne sont plus à cette heure, aux enterremens, ce qu’elles étaient jadis; quelle que soit la qualité du personnage porté au cimetière, le clergé l’accompagne en voiture, ou, — dans de rares circonstances, — à pied en psalmodiant