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contre sa tribu. On se croirait dans les anciens dans de l’Ecosse ou dans les dans encore existans en Corse et en Sardaigne. C’est bien pis quand toute la tribu se met en guerre. Alors la dévastation s’étend sur des centaines de kilomètres à la fois. Tout le Colorado, en 1864-66, a été ainsi plusieurs fois pillé, incendié, et au mois de septembre 1867, sur la route qui mène de Julesburg, sur la Rivière-Plate, à Denver, capitale du territoire au pied des Montagnes-Rocheuses, sur une étendue de 300 kilomètres, nous avons pu relever, mes compagnons et moi, les traces des incursions des Chayennes, des Sioux et des Arrapahoes. Les pionniers n’en étaient pas moins revenus peu à peu, et dans leurs blockaus munis de meurtrières ils auraient vendu chèrement leur vie au cas d’une nouvelle attaque. La diligence du désert, arrêtée encore quelquefois par le Peau-Rouge, avait recommencé, comme aux plus beaux temps, sa course accoutumée. Les femmes étaient les premières à donner aux hommes l’exemple de ce courage froid et résolu qui distingue l’Américain, et chacun avait repris son poste au cri traditionnel de go ahead, en avant, toujours en avant! En Amérique, on ne doute de rien, et l’on ne compte jamais que sur soi-même; c’est pourquoi le désert s’y peuple et s’y colonise si vite et si sûrement.


III.

En relisant le livre de Tacite sur les mœurs des Germains, on est étonné de trouver autant de points de ressemblance entre les barbares de la Germanie et ceux de l’Amérique du Nord. Les uns et les autres se revêtent de peaux, vivent sous la hutte, chassent le bœuf sauvage, sont divisés en tribus commandées par des chefs, et qui se font entre elles une guerre acharnée, s’assemblent en parlemens où les princes de la tribu prennent la parole. Les tribus indiennes, restées nomades, ne vivent que de chasse; aucune n’a encore atteint la seconde étape de l’humanité à ses débuts, celle de peuple pasteur. Elles campent toutes sous la tente, qui est faite de peaux de bison ou de grosse toile; les sauvages reçoivent celle-ci des blancs, car, si l’Indien sait tanner les peaux, son industrie ne s’est point élevée jusqu’à tresser les fibres textiles, bien qu’il y ait dans les prairies des plantes au tissu filamenteux, comme certains yuccas. La tente, la loge ou wigwam, est pour l’ordinaire conique, elle est soutenue par de longs piquets croisés. On y entre par une ouverture étroite, en rampant. Au milieu, suspendu à une chaîne ou à une corde, est le chaudron où l’on cuit les alimens. Le feu est toujours allumé, la fumée sort par le haut de la tente en remplissant l’étroit logis; le sauvage n’en a cure, et se fume résolument.