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Ainsi limitée, la commission devait être dans un cruel embarras, pour peu qu’elle eût à cœur le bien de toute la marine. Il ne paraît point qu’elle ait senti ce malaise. Dès le premier jour, on a pu voir qu’il régnait une assez grande diversité d’opinions, car un membre a exprimé le doute qu’il fût indispensable d’avoir une marine marchande. Le reste du temps, on n’a envisagé que l’intérêt de l’armement et de la construction. Tout a été traité sur ce principe, — les règlemens maritimes, l’ordre des équipages, le rôle du capitaine, les consulats. En touchant à chacune de ces parues, on se tournait vers l’armateur, c’est-à-dire vers le malade, et on lui demandait si c’était là le point douloureux. Par exemple, l’inscription maritime a paru tolérable, parce qu’elle ne grève le compte de l’armateur que de quelques centimes par tonneau de jauge; mais personne ne s’est avisé d’un intérêt supérieur, qui est de rendre au marin la liberté de sa profession; la valeur d’un homme ne s’estime pas par francs et par centimes. De même il a paru puéril de réviser les lois sur les sociétés, de préparer le mélange des intérêts ; quel spécifique pouvait-on tirer de là pour des maux présens? Une commission qui ne veut ni faire des lois ni empiéter sur les pouvoirs publics, ni approfondir le sujet, n’a qu’une ressource : c’est d’ajouter un chapitre au budget. C’est justement ce qu’on a proposé : des primes au constructeur, des primes à l’armateur, 7 millions que l’état va dépenser pour sa marine.

La somme n’est pas forte, et l’intérêt de la marine vaut mieux. Ensuite la prime a cet avantage sur les surtaxes, que la France sait au juste combien lui coûte l’industrie protégée; mais par quel calcul a-t-on fixé d’avance la contribution du trésor? La prime doit augmenter en raison du nombre des navires construits et armés. Si elle a tout son effet, qui est d’exciter les uns à construire, les autres à naviguer, la charge du trésor croîtra d’autant ; on est presque réduit à souhaiter que la marine reste au même point. Il apparaît par là que nos législateurs n’ont point songé à l’avenir, — ou bien ils se font une étrange idée de la marine marchande, comme d’un service public qui ne saurait ni augmenter ni diminuer, et qui s’entretient, ainsi que les grandes routes, aux frais de l’état. Pour les armateurs, c’est un encouragement à la routine. On arrête tous les efforts vers le bon marché : à quoi bon abaisser le prix de revient quand l’état se charge de la différence? Quelle aubaine que de toucher à chaque voyage 1 franc par jour et par homme! Est-il un seul navire qui ne lèvera ses ancres avec un tel appât? Loin de consulter les besoins nouveaux du commerce, on fera sortir toutes les vieilles charpentes qui pourrissaient dans les bassins. Plus un navire sera vieux et malade, plus on mettra de hâte à l’employer, pourvu qu’il