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Si la marine aujourd’hui dépend du caractère et des mœurs, le ministre qui verra cet enchaînement fatal est-il réduit à se croiser les bras? Loin de là, car le gouvernement peut agir sur les mœurs, quand celles-ci tiennent aux circonstances politiques. Les reproches qu’on adresse à la France atteignent aussi les divers gouvernemens : en effet, ceux-ci ont toujours exploité le commerce en vue des seules finances. C’était un revenu : rarement ils ont compris l’intérêt national d’un grand commerce, indépendamment des sommes qu’il rapporte. Ils ont trop négligé ce levier puissant, qui soulève l’activité d’un grand peuple. Aussi nous avons eu des financiers émérites, peu d’hommes d’état. L’impôt a pesé lourdement sur toutes les industries, au risque de tarir la source de la richesse. Un ministre qui aurait d’autres visées fonderait d’abord des écoles de commerce; il ne donnerait pas des consulats aux fruits secs de la diplomatie : les hommes distingués qui les occupent en grand nombre commencent à se lasser d’un tel voisinage. Le gouvernement peut donc faire beaucoup par la seule direction de la politique : qu’il accorde seulement la même attention aux intérêts d’outre-mer qu’à ceux du continent, qu’il tienne la main à ses agens, que nos diplomates emploient leur habileté à connaître ces populations dont les mœurs sont si éloignées des nôtres; qu’en un mot le gouvernement mette en honneur, par tous les moyens possibles, les longues entreprises et les travaux de la mer[1].

La France, par son génie et par son territoire, devait être une puissance continentale et maritime; elle pouvait tenir le milieu entre l’Allemagne, enfermée dans le continent, et l’Angleterre, vouée à la mer. L’histoire a voulu que la France tournât tous ses efforts vers l’Europe, où elle a exercé longtemps la suprématie. Cet empire nous échappe aujourd’hui; n’est-ce pas le moment de porter notre énergie vers la mer, trop longtemps délaissée ? La France rentrera ainsi dans le cours naturel de son destin, et retrempera ses forces.


RENE MILLET.

  1. Une commission se forme en ce moment sous les auspices du ministère du commerce pour étudier les moyens d’étendre nos débouchés.