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ces trois choses sont homogènes, puisque je puis remplacer mon propre effort par celui d’un autre homme ou d’un animal, et celui-ci par une machine. Il y a donc quelque chose d’identique entre le moi et la matière, puisque l’un peut remplacer l’autre, et c’est ce qui résulte du reste manifestement du fait seul de leur union et de leur action réciproque.

Cependant, quelles que puissent être en définitive les conclusions de la science relativement à l’idée de force, elles n’engageraient pas la métaphysique, de même que les exigences de la métaphysique n’ont rien de strictement obligatoire pour les savans. La science en effet est autorisée à écarter toutes les notions dont elle n’a pas besoin, et qui ne servent qu’à embarrasser sa marche. De même que le géomètre ne se préoccupe pas de la nature de l’espace, de même que l’astronome ne parle pas du premier moteur, de même le physicien et le mécanicien pourraient trouver quelque avantage à se dégager de la notion de force, pour se borner à en étudier les effets. Encore une fois, c’est aux savans de voir si cette exclusion est utile ; si elle est possible, si elle est féconde en résultats ; mais, ainsi que l’exclusion hypothétique des causes finales dans les sciences de la nature ne prouve rien contre l’existence de telles causes, de même l’élimination conventionnelle de la force n’en serait nullement la suppression, et, quoi qu’en pussent dire les savans, la métaphysique serait toujours autorisée à conserver une notion dont elle démontrerait la nécessité et la réalité.

C’est ici que de nouveaux adversaires et de nouvelles difficultés nous attendent ; c’est maintenant sur le terrain même de la métaphysique que la discussion est transportée. L’école anglaise et le positivisme français, d’accord pour retrancher de l’esprit humain toute notion métaphysique, nous contestent l’idée de force et au dedans et au dehors de nous. En dehors, c’est une induction illégitime ; au dedans, c’est une pure abstraction. Il n’y a que des phénomènes ou des groupes de phénomènes. Le pouvoir, la cause, la force, aussi bien que la substance, sont des êtres de raison, des fictions d’école, et, comme on le disait au moyen âge, de pures émissions de voix, flatus vocis.

Nous n’insisterons pas sur le premier point, que nous avons longuement traité ailleurs[1]. On objecte que la force en dehors de nous ne nous est révélée que par la sensation de résistance : or cette sensation, dit-on, n’a rien de différent des autres ; comme celles-là, elle n’est qu’un mode particulier de notre faculté de sentir ; elle ne nous révèle rien au-delà d’elle-même, elle est toute subjective. Dans

  1. Voyez notre étude sur Mill et Hamilton dans la Revue du 15 octobre 1869.