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attribue au malheur, la duchesse de Bourbon, qui était alors Anne de Beaujeu, n’en voulut pas plus de ce mariage à Pierre d’Urfé que son père Louis XI ne lui en avait voulu de ses défections. Il semblait que cette grandeur eût atteint son sommet ; les successeurs de Pierre trouvèrent moyen d’y ajouter encore. Lorsque les biens du connétable de Bourbon furent confisqués, la charge de bailli du Forez fut donnée par la couronne à Claude d’Urfé, le fils de Pierre, et depuis cette charge ne sortit plus de la famille. Claude fut honoré d’une façon toute particulière de l’affection de Henri II, qui l’employa aux missions les plus délicates et aux fonctions les mieux faites pour le désigner à la considération publique, car il l’envoya représenter la France au concile de Trente, et avant même qu’il fût de retour, il le nomma gouverneur du dauphin, qui l’aima à l’égal de son père et le fit surintendant de sa maison après son mariage avec Marie Stuart. C’est ce d’Urfé qui à son retour d’Italie reconstruisit le château de La Bâtie que nous allons visiter. Enfin le père d’Honoré, Jacques, imitant l’exemple de son aïeul que nous venons de voir se rapprocher par mariage de la maison de Bourbon, épousa une comtesse de Tende, issue de la maison de Savoie d’une part, et de l’autre de la maison de ces Lascaris qui avaient porté le titre d’empereurs de Trébizonde. Les empereurs de Trébizonde ! ce souvenir à demi romanesque s’associe à merveille, il en faut convenir, avec le caractère de l’Astrée, et fait à d’Urfé une auréole bien assortie à son génie[1].

On a souvent observé que, lorsque les races sont près de s’éteindre, elles réunissent sur un rejeton élu toutes les qualités éparses dans de longues-générations, comme si, sentant s’approcher la mort, elles faisaient effort pour lui échapper en s’assurant l’immortalité par un dernier héritier, ou comme si, avant de quitter la terre, elles voulaient par une noble coquetterie laisser d’elles une image qui les fît admirer, regretter et envier. Cet effort suprême semble leur coûter tout ce qui leur reste des forces que la nature avait mises originairement à leur disposition, car, aussitôt après la production de cet élixir condensé d’elles-mêmes, on les voit s’étioler, languir et disparaître du soir au matin, c’est-à-dire en une ou deux générations. Les d’Urfé présentent un exemple remarquable de cette loi obscure. Le déclin commence pour eux immédiatement après l’apparition de l’individualité la plus brillante qu’ils aient produite ; que dis-je commence ? la mort est ici déjà, du vivant même d’Honoré, en la personne d’Anne, son frère aîné, et le représentant de la maison. Si nous devons tenir Honoré pour Le miroir le plus

  1. Antoine de La Mure, Généalogie de la maison d’Urfé.