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conduit à un système de centralisation et de tutelle. La division du clergé russe en deux classes animées d’une sourde rivalité rendait plus nécessaire le contrôle du pouvoir central. Plus l’évêque et le haut clergé célibataire étaient, par le genre de vie ou les intérêts, séparés du clergé marié, plus se faisait sentir dans l’église le besoin d’un pouvoir modérateur et impartial. On ne l’a point remarqué, c’est là une des principales causes de l’influence du pouvoir civil chez l’église russe. Dans l’église latine, où le clergé n’est point de la même façon divisé en deux classes, le prêtre s’est encore trouvé trop exposé à l’omnipotence de l’évêque pour ne pas chercher un abri contre elle. Cette protection, que depuis la révolution il ne pouvait réclamer de l’état, il l’a demandée à Rome. Là, on le sait, a été, en France surtout, une des causes de l’ultramontanisme parmi le clergé catholique. N’ayant ni chef national ni souverain pontife étranger, le clergé russe n’a eu contre le despotisme épiscopal d’autre refuge que la protection du gouvernement civil ; les garanties que le prêtre catholique a cherchées auprès du pape dans l’ultramontanisme, le pope orthodoxe les a trouvées auprès du tsar dans l’intervention de l’état. Il y a ainsi non-seulement exagération, il y a confusion lorsque nous parlons de l’oppression de l’église russe par le pouvoir impérial. Si l’autorité de l’état pèse jusqu’à un certain point sur le haut clergé, elle abrite le clergé inférieur ; au lieu d’un signe d’asservissement, la constitution actuelle de cette église est pour la masse de ses prêtres un gage de liberté.

On a souvent, en Russie même, montré tout ce qu’il y aurait à faire pour rendre à l’église plus de vie et d’indépendance. On a vu la Gazette de Moscou parler de resserrer les liens des diverses églises orthodoxes et de renouveler dans l’empire les conciles provinciaux ; on a vu le gouvernement inviter le saint-synode à l’étude de cette dernière question. Tout cela pourrait se faire, et bien plus encore, si les mœurs publiques étaient mûres pour de telles réformes. On pourrait rétablir les élections ecclésiastiques, qui dans certaines provinces ont longtemps persisté ; on pourrait en toutes choses revenir à l’antique discipline. Un tel retour serait moins malaisé dans l’église gréco-russe que dans l’église catholique romaine ; dans l’une, la centralisation dérive d’un principe théologique, et vient de l’intérieur, du cœur même de l’église ; dans l’autre, elle n’a qu’un principe politique, et vient du dehors, du pouvoir civil. On pourrait faire bien des choses dans l’orthodoxie russe, si les mœurs s’y prêtaient ; mais elles en sont encore loin, et, en Russie comme en Occident, nous ne savons jusqu’à quel point l’esprit moderne déliera tous les liens qui rattachent l’église à l’état. En tout cas, en Russie moins qu’ailleurs, la société religieuse ne se peut assez isoler de la société civile pour avoir un mode d’existence hors de tout