Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Triton, dans lequel est l’île de Phla. » Il raconte ensuite que Jason fut poussé par la tempête sur les côtes de la Libye, et qu’il se trouva dans les bas-fonds de la baie de Triton avant de découvrir la terre ; un triton lui montra le moyen de sortir de ce passage dangereux. Cet épisode du voyage des argonautes avait déjà été mentionné par Pindare[1], qui écrivait quelques années plus tôt. Hérodote nous apprend encore que les Libyens qui habitaient sur le bord occidental du lac Triton étaient des peuples laboureurs, tandis que ceux qui habitaient sur le bord oriental étaient des peuples nomades et bergers. Cette particularité est confirmée par Scylax. Il n’y a que les peuples laboureurs en effet qui bâtissent des villes, et nous verrons que ce géographe place la ville des Libyens sur le bord occidental du lac Triton. Ce qui ressort des récits d’Hérodote et ce qu’il est essentiel de noter, c’est d’abord que le grand lac de Triton communiquait avec la mer, puisque le vaisseau de Jason y fut jeté par la tempête ; c’est ensuite qu’il ne parle pas de la Petite-Syrte, dont le nom n’apparaît que plus tard, et qui semble avoir été désignée en même temps que le lac sous la dénomination collective de grand lac ou grande baie de Triton.

Après Hérodote vient Scylax, auteur du Périple de la Méditerranée, qui écrivait vers le IIe siècle avant l’ère chrétienne. Dans sa description de l’Afrique, il cite l’île Brachion[2], où croît le lotus, et l’île de Cercinna, où il y a une ville du même nom. « Vers l’intérieur des terres, ajoute-t-il, se trouve le grand golfe de Triton[3], qui renferme la Petite-Syrte, surnommée de Cercinna, et le lac Triton avec l’île Triton, ainsi que l’embouchure d’un fleuve du même nom. L’entrée du lac est étroite ; on y voit une île au reflux de la mer, et souvent alors les vaisseaux ne peuvent plus y pénétrer. Ce lac est considérable ; les bords en sont habités par les peuples de Libye, dont la ville est située sur la côte occidentale. » Les savans sont d’accord pour reconnaître dans les îles Brachion et Cercinna les îles actuelles de Djerba et de Karkenah[4], entre lesquelles se trouve l’entrée du golfe de Gabès. La Petite-Syrte était donc évidemment le golfe de Gabès ; le lac Triton occupait le bassin des chotts ; la Syrte et le lac, réunis par une communication assez étroite, formaient ensemble le grand golfe de Triton. L’île basse qu’on voyait dans la communication au moment du reflux était sans doute

  1. IV, 44 et seq.
  2. D’après Mannert, la véritable leçon serait νῆσος Αωτοφάγων (nêsos Aôtophagôn), île des Lotophages. C’était probablement l’île des Lotophages où Homère conduit Ulysse. Plus tard Strabon, Pline, Solin, l’appellent île de Meninx. C’est l’île Djerba de nos jours.
  3. Κόλπος μέγας Δρονίτης (Kolpos megas Dronitês). D’après Vossius, il faut lire Τριτωνίτης (Tritônitês).
  4. C’est à Cercinna qu’Annibal se retira après sa défaite ; c’est là que fut exilé Sempronius Gracchus, l’amant de Julie ; aujourd’hui on y déporte les filles publiques qui ont des démélés avec la police tunisienne.