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M. de Choiseul. C’est un terrible homme, qui, même en étant malade et en ayant quelque peine à se remettre, trouve du temps pour tout. Il a joué son rôle dans le vote récent de la loi militaire ; il ne dédaigne pas de livrer à la juridiction d’un tribunal allemand M. Lévêque de Nancy sans trop regarder au traité de Francfort, qu’il doit bien connaître, puisqu’il l’a fait, et voici qu’avant de partir pour Varzin il vient de vider à sa satisfaction l’incident d’Arnim en remplaçant à Paris M. l’ambassadeur d’Allemagne, en nous envoyant comme nouveau représentant de l’empereur Guillaume le prince de Hohenlohe, qui va prochainement arriver. Les journaux allemands semblent croire qu’en France nous avons attaché une importance particulière au conflit qui s’est dénoué par la disgrâce de l’ambassadeur impérial d’hier, ils se trompent ; ce qui vient d’arriver à M. d’Arnim n’est pour nous qu’une affaire allemande, un incident curieux de plus. M. le comte d’Arnim, avant de venir à Paris, avait représenté la Prusse à Rome en 1869 et 1870 pendant le concile. Comment un journal de Vienne s’est-il trouvé récemment en mesure de publier quelques-uns des rapports de M. d’Arnim sur le concile ? C’est là jusqu’ici le secret. Quelle impression le prince-chancelier d’Allemagne a-t-il ressentie de cette divulgation ? On pourrait s’en douter par la publication faite immédiatement à Berlin d’autres rapports, d’un document tout confidentiel où l’ancien ambassadeur de Prusse à Rome semblait se mettre en contradiction avec lui-même, où il parlait notamment d’un ton assez leste du chanoine de Munich, M. Döllinger, qui a eu son rôle dans toutes ces affaires religieuses. M. le comte d’Arnim n’a pas voulu se résigner à cette indiscrétion qui lui faisait dire tout haut des choses désagréables au chanoine bavarois, et il a fort dignement écrit à M. Döllinger pour s’excuser. M. Döllinger à son tour a publié cette lettre, où M. d’Arnim parlait du gâchis religieux allemand, et voilà aussitôt la guerre déclarée à M. l’ambassadeur d’Allemagne à Paris par tous les journaux dévoués à la politique du prince-chancelier. M. d’Arnim a été traité en diplomate intempérant et indiscret, presque en agent révolté contre son gouvernement, de sorte que, lorsqu’il est récemment arrivé à Berlin, il est tombé au milieu d’un monde prévenu ou hostile qu’il n’a fait qu’exaspérer par une nouvelle lettre plus accentuée encore. Cette fois la rupture était complète, et M. de Bismarck a eu d’autant plus de facilité à briser M. d’Arnim que l’empereur Guillaume n’aime guère ces dérogations bruyantes et intempestives aux traditions de la diplomatie prussienne ; mais est-ce bien là le vrai et seul motif de la disgrâce ou de la retraite de l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris ?

Peut-être ce dernier incident est-il venu à propos pour les deux personnages qui se sont trouvés en conflit et qui depuis quelque temps passaient pour ne point vivre dans la meilleure intelligence. Il est bien certain que M. le comte d’Arnim avait peu de goût pour la politique suivie par le prince-chancelier dans les affaires religieuses de la Prusse et de