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systèmes. Sans parler de l’adoucissement apporté au dualisme absolu par un grand nombre de cathares, nous ne trouvons pas, chez eux ce mélange de naturalisme païen, cette personnalité divine du soleil, de la lune, de la lumière éthérée, qui jouent un si grand rôle dans la doctrine du mage persan. Le catharisme est incomparablement plus spiritualiste et moins polythéiste. Rien surtout ne ressemble chez lui à ce culte personnel de Mani, qui tenait une si grande place dans le rituel manichéen et qui avait fini par se substituer à celui de Jésus. On ne voit pas même de trace chez nos cathares d’un souvenir quelconque de l’hérésiarque oriental, à moins qu’à leur insu la fête qu’ils appelaient Manisola, et qu’ils célébraient en automne[1], ne dût son nom à quelque tradition lointaine et fruste remontant réellement jusqu’au temps du culte de Mani. On, ne sait pas ce que signifie ce nom mystérieux. L’explication qu’en donne M. Peyrat n’en est pas une ; il est permis seulement de penser que cette fête était en rapport avec leur idée favorite de la réintégration, des âmes dans l’unité divine. Enfin nous devons relever ce trait essentiel du catharisme, qui consiste dans une diminution très notable de l’importance assignée à la personne de Jésus-Christ par la donnée chrétienne traditionnelles. Son œuvre se serait bornée à annoncer la vérité aux hommes, et en réalité lui aurait très peu coûté, car ; ses souffrances, comme son corps, n’auraient été qu’apparentes, Le véritable et permanent agent du salut des âmes, c’est l’esprit qui parvient au commun des hommes par le canal des parfaits. C’est à sa possession immédiate que l’homme doit aspirer, c’est à elle qu’il devra liberté, vérité et charité. C’est par ce côté surtout que le catharisme se dégageait des erreurs et des puérilités de sa théologie, c’est par là qu’il devait se survivre sous d’autres formes, c’est par là, pour tout dire en un mot, qu’il cesse d’être une ancienne hérésie et qu’il tend à devenir moderne.


II

Tâchons maintenant d’esquisser rapidement les origines historiques de ce curieux mouvement albigeois.

Comme nous l’avons dit, c’est au XIIe siècle, sous Louis le Gros, Louis VII et Philippe-Auguste, qu’il se révèle à l’état épanoui, presque dominant au midi de la France et au nord de l’Italie. Ce qui est singulier, c’est qu’il en soit si peu question auparavant. Quelques symptômes précurseurs, que l’on peut glaner çà et là dans le cours du XIe siècle, permettent à peine de soupçonner qu’il existe et qu’il

  1. Ils célébraient aussi, en même temps que l’église catholique, les grandes fêtes de Noël, Pâques et Pentecôte, en les interprétant conformément au principe allégorique appliqué par eux aux faits visibles de l’histoire évangélique.