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germe. Si les prétendus manichéens condamnés à Orléans en 1022 n’étaient pas précisément des cathares, il est probable pourtant que leurs doctrines avaient plus d’un rapport avec le catharisme ultérieur. En 1035, on découvrait un conventicule cathare au château de Monteforte, près de Turin. En 1058, le quartier de la Pataria, c’est-à-dire des chiffonniers, à Milan, était noté comme un foyer d’hérésie, et de là vint le nom de patarins, qui servit en Italie et ailleurs à désigner les sectaires. Les Italiens les appelaient aussi gazari d’après une prononciation locale du nom cathare, et de ce nom, qui passa sous cette forme en Allemagne, dérivé sans doute le mot allemand ketzer, qui veut dire hérétique ; mais avec le XIIe siècle les traces d’une rapide extension se multiplient. Dès 1115, on signale des cathares à Soissons, à Trêves, dans les Flandres et en Champagne. En 1119, un concile de Toulouse les condamne formellement et enjoint aux seigneurs temporels de les poursuivre. Cette condamnation a peu d’effet. De 1140 à 1146, on voit le catharisme pénétrer à la fois à Périgueux, à Liège et à Cologne. Dans cette dernière ville, le peuple traîna sur le bûcher deux missionnaires de la doctrine suspecte ; mais c’est surtout au midi de la France qu’elle s’implante solidement, au point que, d’accord avec le pape Eugène III, saint Bernard dut parcourir le pays albigeois pour tâcher de ramener les errans. Sa prédication itinérante fut froidement accueillie. L’enthousiasme, qui partout ailleurs naissait sur ses pas, lui fit là complètement défaut, et il revint triste et piqué, attribuant surtout les progrès de l’hérésie à l’incurie et aux mauvaises mœurs du clergé local. En 1163, le concile de Tours, présidé par le pape, réitère les anathèmes du concile de Toulouse, mais sans effet notable. La preuve en est que l’épiscopat méridional, voyant les seigneurs laïques refuser leur concours à la persécution, tâcha de ramener les chefs de l’hérésie par la persuasion et conféra avec eux au château de Lombers, près d’Alby. Naturellement on se sépara sans s’être entendu, et quatre ans après, en 1167, les cathares, désormais connus en France sous le nom d’albigeois, tinrent une sorte de concile à Saint-Félix de Caraman, où ils achevèrent de fixer leur discipline, leur culte et leur organisation. Un évêque hérétique de Constantinople, Nicétas, qui représentait un groupe imposant de communautés orientales imbues des mêmes principes, y vint tout exprès pour établir des relations régulières entre les cathares de l’Occident et ceux de l’Orient. Cette venue d’un évêque d’un genre nouveau frappa beaucoup les imaginations du moyen âge ; on estropia son nom, et il fut grandement question du pape Niquinta, venu des pays lointains pour tout changer. Un instant on put se demander si les deux églises rivales de Rome et de Constantinople n’allaient pas être sérieusement menacées par une catholicité nouvelle