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Jérusalem. Si l’on parvenait à la rapprocher des tours assiégées, de monstrueuses griffes ou crampons de fer s’abaissaient sur les créneaux, on jetait dessus un pont volant, et on donnait l’assaut.

Une dépression de terrain séparait le campement des royaux de l’emplacement proprement dit du château, et pendant le mois qu’il fallut passer à construire le massif engin, des combats vraiment épiques furent livrés par les deux partis. Les cathares obtinrent du patriarche la convinenza, c’est-à-dire la faculté de recevoir, lors même qu’ils ne pourraient plus parler, le consolamentum et le baiser de paix qui, d’après le rituel, ne s’accordaient qu’à la demande du mourant. Malgré les attaques furieuses des assiégés, la tour mobile fut achevée et posée sur un énorme camion fourni par l’évêque d’Alby. La difficulté était surtout de la faire monter sur la pente opposée du val. Elle n’avançait que pas à pas sur un talus assez raide. Elle mit cinq mois à gravir une rampe de 500 mètres. Quand elle fut tout près du sommet, il lui restait encore à franchir un rebord de rocher par un défilé étroit et tortueux. L’hiver était venu. Il est ordinairement rigoureux sur ces hauteurs, et les assiégés comptaient sur la gelée et la neige pour immobiliser la sinistre machine. L’hiver, par exception, fut relativement doux, se fit longtemps attendre et ne retarda que très peu la marche en avant du monstre de bois. Par des sentiers secrets, aboutissant à des souterrains plus ignorés encore, quelques frères du dehors avaient pu pénétrer dans le donjon, entre autres un délégué des églises cathares de Lombardie. On affirmait que le comte de Toulouse, que l’empereur Frédéric II, allaient intervenir. Vaine espérance ! le comte et l’empereur chassaient ensemble en Calabre et ne songeaient guère à Montségur. Le mois de février vit la tour mobile reprendre sa lente ascension. Enfin elle approcha, sombre et menaçante, de sa rivale, la vieille tour de pierre. On eût dit le combat fantastique de deux géans. Le duel recommença à leurs pieds avec un acharnement sans pareil. Les femmes cathares elles-mêmes s’en mêlèrent, et on les vit, échevelées, courir sur les remparts, encourager de leurs cris leurs défenseurs, lancer l’huile et la poix ardentes, tandis qu’au haut du donjon les prêtres cathares opposaient leurs prières désespérées aux anathèmes que fulminait l’évêque d’Alby du haut de sa tour mobile.

Pierre Roger de Belissen, qui jusqu’alors avait soutenu par sa confiance le courage de ses compagnons, redouta une issue fatale. Le trésor de l’église cathare était caché dans le château. Grâce aux souterrains dont jamais les assiégeans ne connurent tous les débouchés, il en fit transporter la plus grande partie par des sectaires dévoués dans la grotte d’Ornolac, aujourd’hui de Lombrives, non loin de Tarascon-sur-l’Ariège. Le reste fut enfoui quelque part dans la forêt de Serrelongue. Une trahison précipita le dénoûment. L’un des