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abondent dans les endroits habités ; certaines espèces de kakerlacs fort avides de nos denrées se propagent à peu près indifféremment sur toutes les côtes où un navire les a transportés, si la nourriture ne vient pas à manquer. En changeant de climat, ces plantes et ces animaux, qui se sont disséminés sur d’immenses espaces ou qui ne meurent pas sans postérité quand ils sont jetés sur une terre étrangère, ne se transforment en aucune façon ; les uns restent absolument pareils de la zone glacée à la zone torride, les autres ne se modifient que sous le rapport de la taille, de la couleur, de l’épaisseur de la fourrure. L’observation et l’expérience portent sur des milliers de créatures.

Si l’on s’en rapportait à une assertion de M. Darwin, les espèces ayant une très large distribution géographique présenteraient plus de variation que les autres ; mais on s’abuserait en croyant le phénomène général. Aussi bien que de chétifs insectes, de grands mammifères semblent bien peu affectés par l’influence du milieu. Le lion habite l’Afrique entière du nord au sud, l’Asie-Mineure, la Perse, la partie occidentale de l’Inde, et il est toujours le lion. Les naturalistes ayant beaucoup étudié le magnifique animal veulent reconnaître des races, ou, en d’autres termes, des variétés locales que distinguent des particularités constantes. Ces particularités se bornent à la nuance du poil et à l’ampleur de la crinière. En Barbarie, le lion a le pelage d’un fauve brunâtre et la crinière superbe plus ou moins teintée de noir ; au Sénégal, avec la crinière moins belle, il est plus jaune ; au Cap, il a une crinière presque fauve et médiocrement prolongée sur le dos ; au Darfour, il est d’un fauve doré, au Sennaar d’un ton plus rouge ; en Perse, d’une nuance isabelle assez pâle avec une longue crinière mêlée de noir et de fauve ; aux environs de Guzarat, il a la crinière très courte. Personne ne juge que des hommes et des femmes s’écartent notablement du type de la race parce qu’ils ont une chevelure riche ou pauvre, variant du noir au châtain. Les lions n’offrent rien de plus extraordinaire ; comme ils ne sont pas cantonnés par groupes sur d’étroits espaces, on peut tenir pour vrai qu’il existe d’insensibles passages dans la nuance du poil et le volume de la crinière. D’ailleurs les individus de la même contrée n’ont pas tous la parure également belle. Le tigre royal vit dans les jongles de Java, de Sumatra, de Ceylan, de l’Inde : autrefois on supposait le grand carnassier propre aux régions les plus chaudes de l’Asie ; mais en réalité il est répandu au nord de la Chine, dans la Mongolie, sur les flancs du Caucase, en Sibérie jusqu’au lac Baïkal. Soumis à des températures extrêmes, environné de créatures fort différentes, selon le pays qu’il habite, le tigre varie bien faiblement ; au nord, le poil est plus long et plus touffu, et d’autre part on observe que les bandes noires ne