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hyménoptères parasites est accomplie. Dans les conditions qu’offre la nature sauvage, l’ichneumon déposant un seul œuf dans le corps d’une chenille ne parviendra sans doute pas à rencontrer cinquante ou soixante chenilles pour assurer le dépôt de tous ses œufs, il périt alors, laissant une postérité bien restreinte ; au contraire dans les circonstances où les individus qu’il recherche se trouvent rassemblés sur un point, presque aucun de ses œufs ne sera perdu. Un ichneumon frappera mortellement une légion de chenilles.

L’année suivante, les parasites seront si nombreux qu’on verra la destruction de l’espèce nuisible s’accomplir avec une étonnante rapidité. A présent, les insectes préjudiciables à la végétation sont rares, et les ichneumons abondent. Ceux-ci, n’ayant plus la possibilité d’assurer le dépôt de leurs œufs, périssent la plupart sans laisser de postérité, et les individus de l’espèce phytophage, désormais moins exposés aux atteintes d’ennemis redoutables, multiplient de nouveau. Ainsi se produisent dans une multitude de circonstances les apparitions et les disparitions successives de certains insectes. Au milieu de ces perpétuelles conflagrations où des milliers d’êtres succombent, est-il donc possible d’apercevoir une cause capable d’agir sur les formes des espèces qui tour à tour perdent l’avantage et le reprennent ? Les partisans des transformations indéfinies ne l’ont pas découverte.

Examinant les résultats de la lutte pour la vie, M. Darwin rappelle que certaines plantes viennent tout à coup envahir un terrain sur lequel croissaient d’autres plantes ; l’ancienne végétation disparaît, une nouvelle la remplace. On en connaît certes plus d’un exemple. Notre chardon commun s’est prodigieusement répandu, assure-t-on, dans les plaines de la Plata et dans d’autres pays, il a fait périr une foule d’herbes. En France, une plante de la famille des scrofulaires est assez commune[1] ; depuis plusieurs années, remarquent les botanistes, une plante du même groupe, ayant un port presque semblable, mais originaire de l’Amérique septentrionale[2], s’est beaucoup multipliée dans le bassin de la Loire, et elle gagne le bassin de la Seine. Dans les lieux où elle prospère, l’espèce indigène cesse d’exister[3]. Très fréquemment on nous informe que, dans un canton où vivait tel oiseau, un autre oiseau l’a chassé ; on affirme qu’en Australie une petite abeille inoffensive particulière à la région[4] a disparu des localités où l’abeille

  1. Lindernia pyxidaria.
  2. Illysanthes gracilioïdes.
  3. Ces remarques nous ont été fournies par M. Bureau, professeur au Muséum d’histoire naturelle.
  4. Une abeille sans aiguillon, c’est-à-dire une mélipone.