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départemens sont dépourvus de titres conformes aux exigences de la loi. A cet égard, la propriété repose bien plus sur la tradition et la confiance que sur le code Napoléon. »

En 1855, M. Fremy signalait les mêmes obstacles. « Quant à notre sévérité, lit-on dans le rapport annuel, c’est la situation de la propriété qui la commande, c’est le peu de soin avec lequel ses antécédens sont déterminés qui l’exige. Le nombre des contrées en France où l’on ne possède que de fait et pas de droit est considérable. Sur dix établissemens de propriété, certaines provinces ne nous en envoient pas un seul de régulier, d’accessible à notre crédit. » Que dans de pareilles conditions les capitaux restent sourds quelquefois aux sollicitations de la terre, que souvent ils lui fassent payer cher leurs services, on ne peut s’en étonner, le mal est évident ; mais comment en rendre responsable un établissement qui ne peut prospérer que par la prudence de ses opérations ?

A l’idée de faire précéder les opérations cadastrales de délimitations collectives et forcées, d’adopter des procédés qui permissent d’attribuer à ces opérations une autorité plus ou moins absolue dans les questions de propriété, l’administration s’est toujours effrayée ; toujours elle a reculé devant la perspective des contestations que pourraient faire naître ses recherches. Dans une note explicative qui précédait le projet de loi de 1846, le ministre des finances, ne dissimulait pas ses craintes. « Quant à une délimitation générale et forcée des propriétés, disait-il, elle ferait naître des procès interminables. Si elle a été exécutée dans quelques communes, c’est sur la provocation des propriétaires et en vertu de conventions spéciales qui ne pourraient avoir lieu partout, et que la contrainte légale ne procurerait jamais. »

Les difficultés dont la perspective effrayait tant chez nous n’ont pas été partout jugées aussi graves. Plusieurs pays voisins ont, en établissant leur cadastre, pris des mesures pour lui assurer une valeur au point de vue de la propriété. L’ouvrage de M. Noizet nous fournit sur ce point de précieux renseignemens. En 1844, le canton de Genève a renouvelé son cadastre, qui datait de l’occupation française. Les opérations ont partout été précédées de délimitations générales et forcées ; nulle part elles n’ont soulevé de difficultés. Le nombre des procès n’a pas augmenté, et, d’après des témoignages irrécusables, il n’y en a pas eu un seul depuis que les travaux sont achevés. Depuis lors la propriété foncière jouit de l’inappréciable avantage d’être préservée de toute dépréciation, de tout empiétement, et la plus grande sécurité règne sous ce rapport dans tous les esprits. Dans le canton de Vaud, dans les provinces prussiennes du Rhin et de Westphalie, dans la Hesse-Darmstadt, dans le pays de Bade, dans la plupart des états de l’Allemagne, les