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laissé des traces nombreuses de leur séjour. C’est donc le principal intérêt de cette partie du recueil de M. Mommsen de nous faire mieux connaître l’armée romaine. Je voudrais dire en peu de mots l’opinion que ces inscriptions en donnent, et rectifier, à l’aide de documens certains, quelques idées inexactes qu’on se fait sur elle.

L’armée est à Rome ce qui a le plus longtemps gardé les vieilles traditions. On ne peut pas dire assurément qu’elle ressemblât tout à fait sous l’empire à ce qu’elle était pendant la république. Auguste la rendit permanente; ce changement en altéra profondément l’esprit : elle se composa désormais de soldats de métier et non de citoyens ; mais les usages anciens y furent conservés autant que le permettaient les temps nouveaux. La transition d’un régime à l’autre s’y fit sans secousse : les vétérans de César furent les premiers soldats d’Octave, ils purent apprendre à leurs jeunes successeurs la discipline des vieilles armées, et depuis on prit de grandes précautions pour que ce dépôt ne pût pas se perdre, Les légions n’étaient pas, comme nos régimens, disséminées dans les principales villes de l’empire. On ne les employait pas à maintenir la paix intérieure, qui n’avait pas besoin d’être protégée : Josèphe nous dit qu’aucune des cinq cents villes de l’Asie n’avait de garnison, et que les Gaules, un pays plus grand que la France, obéissaient à 1,200 soldats. C’est ce qui permit aux empereurs de diminuer l’armée, Du temps d’Auguste, on ne comptait sous les armes que 250,000 légionnaires, qui formaient l’armée de ligne, et un nombre à peu près égal de soldats auxiliaires, 500,000 hommes, ce n’est guère quand on songe à l’immense étendue des frontières qu’ils avaient à garder, mais c’était beaucoup pour les ressources du budget romain, qui n’avait pas prévu cet accroissement de dépenses. A Rome comme ailleurs, les armées permanentes furent une lourde charge sous laquelle l’état fut souvent accablé. Il fallut, pour y pourvoir, créer des ressources spéciales et instituer le trésor militaire (œrarium militare), qu’on eut grand’peine à remplir. C’est de là que vinrent les embarras financiers qui attristèrent plus d’une fois le grand règne d’Auguste,

Les légions étaient donc distribuées le long des frontières de l’empire, et elles y vivaient toujours sous la tente. On n’avait pas l’habitude, comme aujourd’hui, de les faire changer souvent de résidence. Quand une fois on les avait placées quelque part, elles y restaient, et, si quelque guerre importante les appelait ailleurs, la guerre finie, elles rentraient dans leurs quartiers. Aussi le camp où elles étaient fixées avait-il reçu le nom de camp sédentaire (castra stativa), pour le distinguer de ces retranchemens qu’elles élevaient tous les soirs dans leurs expéditions et qu’elles quittaient le matin. Autour