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de ces camps sédentaires, des vivandiers, des fournisseurs, des industriels de toute sorte, venus des pays voisins, s’étaient de bonne heure réunis. Ils construisaient d’abord des demeures modestes qu’on appelait les cabanes ou les baraques de la légion (canabœ legionis). Quand ces baraques avaient pris quelque importance, on s’empressait de leur accorder une sorte d’administration municipale ; un sous-officier en retraite en devenait le premier magistrat, des vétérans ou des commerçans enrichis formaient le conseil des décurions. Le nouveau municipe ne cessait de s’accroître, et il finissait souvent par devenir une grande ville. Beaucoup de celles qui tenaient le premier rang dans les provinces du Danube, comme Apulum (Carlsbourg) dans la Dacie, Pœtovio (Pettau) dans la Pannonie, et Troesmis (Iglitza) dans la Mœsie, n’avaient pas une autre origine[1].

Un hasard heureux nous a conservé les débris d’un de ces castra stativa où séjournaient les légions. Ce n’est pas dans notre vieille Europe qu’il a été retrouvé : les révolutions de tout genre y sont trop fréquentes, et les ruines mêmes, suivant le mot d’un poète, y périssent vite ; c’est en Afrique, un pays barbare assurément, mais où l’homme au moins n’aide pas le temps à détruire les restes du passé. La ville de Lambèse (Lamhœsis) a été jusqu’à Dioclétien la résidence d’une légion romaine, la IIIe Augusta, qui était chargée de défendre la Numidie contre les invasions des Maures. L’emplacement qu’elle a occupé pendant tant de siècles est encore très reconnaissable, et M. Léon Renier a pu aisément l’étudier et le décrire. Le camp est séparé de la ville par un glacis de 100 mètres. Il forme un rectangle de 600 mètres de long sur 400 de large, entouré de remparts de 4 mètres de haut, avec des tours de distance en distance, et percé de quatre portes. Au centre, un amas de décombres annonce la place du prœtorium, c’est-à-dire la demeure du légat prétorien qui commandait la légion ; elle devait être ornée avec une certaine magnificence, car on retrouve au milieu de ces ruines des fragmens de sculpture, des couronnes, des aigles, des victoires. Autour du prœtorium, où lit encore gravé sur de grandes pierres le numéro des diverses cohortes dont les tentes devaient s’élever en cet endroit. Des quatre portes partent des routes formées de larges dalles et qui passent quelquefois sous des arcs de triomphe. A 2 kilomètres se trouvent les restes d’un autre camp moins vaste et moins somptueux. C’est celui qu’occupaient les

  1. M. Léon Renier fait remarquer que quelques-unes de ces villes auxquelles les castra stativa ont donné naissance n’ont jamais eu d’autre nom que celui de la légion même autour de laquelle elles s’étaient formées. Il en est ainsi de la ville de Léon en Espagne et de celle de Kaëriéon dans la Grande-Bretagne, dans le nom desquelles se retrouve le mot legio.