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soutinrent l’honneur des armes romaines; au-dessous d’eux, les tribuns légionnaires, les préfets de cohorte, habitués à la soumission, à la régularité, intègres et intelligens, devenaient, quand il en était besoin, des administrateurs dont on était sûr. La vie civile et la vie militaire étant, comme je viens de le dire, moins distinctes que de nos jours, ils passaient aisément de l’une à l’autre : on les chargeait en toute confiance de faire le recensement ou de lever l’impôt dans les provinces. Lorsqu’une ville, ruinée par l’incurie de ses magistrats, avait recours à l’empereur pour remettre quelque ordre dans ses affaires, il lui envoyait comme curator quelque ancien centurion, homme d’un sens droit et d’une honnêteté rigide, qui réparait en quelques mois le mal qu’avaient fait en plusieurs années des hommes d’esprit négligens ou malhonnêtes. L’armée rendait encore ce grand service à l’empire de le pourvoir d’excellons citoyens. Les troupes auxiliaires contenaient beaucoup de provinciaux qui, jusqu’à Caracalla, n’avaient pas le droit de cité. Il était d’usage de le leur accorder en leur donnant ce qu’on appelait un congé honorable (honesta missio). Les noms de tous ceux qui l’avaient obtenu étaient gravés ensemble à Rome au Capitole ou dans le temple d’Auguste. Chacun des soldats qui avaient été l’objet de ces faveurs faisait copier à part le décret qui le concernait sur des tablettes d’airain et se le faisait envoyer. Plusieurs de ces tablettes ont été retrouvées, et M. Mommsen les a reproduites dans son recueil. Elles sont toutes rédigées de la même façon : il y est dit que « l’empereur accorde aux soldats qui l’ont servi vingt-cinq ans et plus, qui ont reçu un congé honorable, le droit de cité pour eux et leurs enfans, et le connubium, ou mariage romain avec les femmes qu’ils avaient épousées, ou, s’ils étaient célibataires, avec celles qu’ils épouseraient plus tard. » Puis vient le nom du soldat qui a voulu posséder cette attestation de sa nouvelle dignité et celui des sept témoins qui affirment l’authenticité de la pièce. C’était vraiment une bonne fortune pour l’empire de s’augmenter de ces citoyens nouveaux; ils lui apportaient toutes les saines habitudes des camps, tandis que l’affranchissement en faisait entrer sans cesse dans la cité qui lui communiquaient tous les vices de l’esclavage. Après avoir reçu leur congé, les soldats des légions, comme ceux des cohortes auxiliaires, avaient coutume d’élever auprès du camp qu’ils allaient quitter quelque monument religieux; ils y mêlaient d’ordinaire des hommages à l’empereur et une dédicace aux dieux immortels ou au génie de la cohorte et de la légion dans laquelle ils avaient servi, et qui était devenue comme leur patrie et leur famille. C’était le dernier acte de leur vie militaire; ils se séparaient ensuite, mais beaucoup d’entre eux ne pouvaient se résoudre à perdre de vue les drapeaux sous