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pas pouvoir accomplir à la lettre les vœux de son bon frère d’Atchin, et au lieu des deux blanches demandées il lui envoya deux canons, qui n’en furent pas moins bien accueillis. On s’expliquera cet excès d’amabilité, qui n’eut pas longue suite, quand on saura que la brouille recommençait entre Atchin et les Portugais.

Nous touchons à la période la plus glorieuse de l’empire atchinois. De 1613 à 1621, le sultan Iskander, le plus célèbre des souverains guerriers d’Atchin, recula jusqu’à Padang les bornes de son territoire, ce qui le rendait maître de presque tout Sumatra, et fit une guerre acharnée aux Portugais, mais sans parvenir à prendre Malacca, qui ne leur fut enlevé qu’en 1636 par les armes hollandaises. C’est sous son règne qu’on voit à leur tour arriver les Français sous l’amiral de Beaulieu, qui fit rapport à Paris de tout ce qu’il avait vu. Sa relation témoigne du luxe qui s’étalait alors à la cour du sultan d’Atchin. Il affirme que le sultan possédait dans son trésor 18 millions de livres tournois, une masse de pierres précieuses et cent gros lingots d’or. Ses danseuses étaient couvertes d’or et de diamans. Il ne craignait personne, si ce n’est le Grand-Turc, parce qu’une vieille prophétie disait que ce serait le Grand-Turc qui détruirait un jour son royaume. Il commandait une flotte de trois cents voiles et se servait d’une huile minérale (probablement le pétrole) pour incendier les navires ennemis. De Beaulieu du reste n’eut pas à se louer des procédés du sultan, qui ne songeait qu’à lui soutirer de l’argent, et tout en reconnaissant sa puissance, son énergie, sa valeur militaire, il le dépeint comme un type d’avarice et de cruauté. Par exemple, il fit écorcher vif un de ses courtisans dont le coq avait été battu par un coq rival, ce qui lui avait fait perdre une forte somme. Ses parens, même sa mère et son fils unique, furent victimes de ses fureurs. Peu de temps avant sa mort, il fit massacrer tous les Portugais qui se trouvaient dans ses états sur la foi des traités, et, ajoute notre compatriote, quand on remontrait aux Atchinois ce qu’il y avait d’impie dans cette exécution en masse : « Que voulez-vous, répondaient-ils. Dieu est loin, mais le sultan est près. » Cependant le règne de ce tyran fut marqué par une certaine floraison scientifique et littéraire. C’est par ses ordres que fut réuni le recueil intitulé Bustanu-Salatin (Cour de plaisir des princes), sorte d’encyclopédie. Le poète Hamza Pantsuri composa des vers qui sont restés populaires. Il fut le plus célèbre des adhérens d’un islamisme mystico-panthéiste venu d’Arabie, qui recruta de nombreux prosélytes parmi les Atchinois. A la fin, le terrible sultan se prononça contre les novateurs, qu’il fit périr dans les supplices, et, devant la principale mosquée, un grand auto-da-fé dévora les livres des mal pensans.

Après la mort d’Iskander (1636), son royaume, épuisé, respira