Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inconciliable des deux faces de la tâche consentie par la Néerlande, et si l’on a un reproche à lui adresser, ce n’est certes pas d’avoir manqué à ses engagemens relatifs à l’indépendance d’Atchin, c’est bien plutôt d’avoir supporté trop longtemps pour sa dignité les insultes et les brigandages d’un peuple sans pudeur, dont l’arrogance, stimulée par la protection dont il se sentait l’objet, passait à l’état de défi permanent lancé à la civilisation tout entière.

On peut se demander, au nom des principes modernes, sur quoi les nations civilisées fondent le droit d’imposer leur domination sous forme d’empire colonial à des populations lointaines, moins avancées sans doute, mais ayant, elles aussi, une sorte de nationalité et ne désirant pas la perdre. Nous pensons que l’étude philosophique de l’histoire tranche la question en élevant l’existence des colonies à la hauteur d’une des grandes lois du développement de l’humanité. Il y a là comme une application en grand du principe d’expropriation pour cause d’utilité générale, et l’injustice relative de cette subordination des peuples encore voisins de la barbarie aux nations civilisées doit être corrigée par la sollicitude des peuples supérieurs pour l’amélioration matérielle et morale de leurs sujets mineurs. Ajoutons que la conscience nationale est loin d’avoir chez les peuples orientaux la susceptibilité qu’elle n’a acquise dans notre Europe elle-même qu’à une époque récente. A la condition de ménager les croyances, les institutions, les mœurs indigènes dans ce qu’elles n’ont pas d’inconciliable avec les exigences de notre droit des gens, ces peuples s’aperçoivent à peine qu’ils sont soumis à un pouvoir étranger. Le droit de conquête est aussi évident pour eux qu’il l’était chez nous au moyen âge, qu’il l’est encore aux yeux de l’Allemagne, et ils trouvent tout naturel que ce soit le plus fort qui commande. Seulement il est indispensable de leur bien montrer qu’on est le plus fort, ce qui explique pourquoi les états colonisateurs se voient amenés à reculer indéfiniment les limites de leur empire colonial. Ce serait en effet compromettre absolument l’édifice entier que de passer pour incapable de châtier les provocations, les incursions, les maraudes des voisins turbulens ou pillards. C’est l’histoire de l’Angleterre aux Indes, c’est la nôtre en Algérie, ce fut celle de la Hollande à Sumatra. Enfin tout le monde conviendra que les peuples, comme les individus, qui se mettent volontairement hors du droit commun par une violation continuelle des lois élémentaires de la vie collective, les peuples qui érigent en système la perfidie, le brigandage, la piraterie, la violence sous toutes ses formes, perdent par cela même tout recours au tribunal de l’opinion lorsqu’ils paient de leur indépendance des forfaits qu’on ne peut réprimer qu’en les en privant. Toutes ces