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Au moment où éclata la guerre de 1870, l’envoi d’un corps expéditionnaire sur les côtes allemandes se préparait dans nos ports du nord ; le général Trochu devait en prendre le commandement. Des difficultés que tout le monde connaît à l’heure présente, que l’ennemi alors connaissait mieux que nous, empêchèrent la réalisation de ce projet. Qu’il eût été exécuté, que le corps d’armée, et en l’appelant ainsi nous en exagérons l’importance, eût été jeté sur les rivages de la Baltique à 300 lieues du théâtre véritable de la guerre, de quel poids eût-il pesé sur l’issue de la lutte, quelle diversion appréciable eût-il créée en faveur de nos armées du Rhin ? Jusqu’au jour où le sort se fut prononcé à Sedan et à Metz, l’armée allemande qui devait le combattre resta prête sous les ordres du général Von Falkenstein, supérieure en nombre, disposant des chemins de fer et de toutes les ressources du pays. Quelles qu’eussent été l’habileté du chef et la bravoure des soldats, les destinées du corps expéditionnaire étaient écrites. C’est que dans les choses de la guerre, comme dans toutes celles de ce monde, les idées les plus justes ne le sont que d’une façon relative, et que ce qui est possible aujourd’hui cesse de l’être le lendemain. Ainsi s’est évanouie à plus d’un point de vue l’importance de la suprématie maritime dans une guerre continentale : quelques années ont suffi pour cela, pleines, il est vrai, d’inventions nouvelles, de perfectionnemens inattendus ; mais ces inventions se renouvellent, ces perfectionnemens se continuent chaque jour et permettent d’affirmer que, s’il y a quinze ans la France avait raison de compter sur sa flotte de transport, l’opinion publique reviendrait aujourd’hui à la réalité en ne la faisant plus entrer dans l’évaluation de notre puissance militaire.

Sans pousser plus loin cet examen, il en ressort que la souveraineté de la mer n’assure plus à une nation les immenses avantages qui en étaient jadis les conséquences logiques. Nous avons essayé de montrer à l’œuvre les causes qui ont produit ces modifications profondes. Là ne s’est pas bornée l’action de ces causes. Si les résultats de la guerre maritime ont complètement changé, les opérations de cette guerre elles-mêmes ne seront-elles pas dirigées par d’autres idées, d’autres principes, d’autres règles ? Y aura-t-il encore de ces grandes rencontres, cherchées, voulues, de deux flottes, « confiantes toutes deux dans la victoire, » rencontres décisives où dans une journée suprême se jouaient les destinées de deux grandes nations ?