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ticien, tout vestige des ordres antérieurs disparaissant dans la mêlée après le premier choc, — un hasard heureux devenant l’événement décisif de la journée, — l’audace, le sang-froid, le coup d’œil du capitaine, c’est-à-dire des qualités morales, ce qui est le moins fixe, le plus ondoyant, le moins appréciable, l’imprévu enfin, — tels sont bien les derniers mots aujourd’hui de la tactique navale, de cette science qui avait naguère ses principes, et par suite ses règles déterminées.

Cet inconnu, cet imprévu d’un nouveau genre, s’ajoutant à l’inconnu, à l’imprévu des élémens matériels pour ainsi dire de la lutte, jette-t-il cependant un voile que nulle main ne peut soulever sur les conditions essentielles de la guerre maritime ? Les recherches dont nous avons donné les conclusions ont-elles été stériles ? Une vérité incontestable s’en dégage au contraire, un principe en ressort d’une importance supérieure et qui met en pleine lumière la loi, les conditions normales de la lutte entre deux escadres cuirassées. Ce principe, cette loi, c’est, on le devine, que dans tout engagement de deux flottes cuirassées, composées d’élémens de combat, de vaisseaux de même valeur, la victoire est assurée d’avance à l’escadre supérieure en nombre. En effet, quelles sont, dans ces problèmes indéterminés, les constantes à poser qui permettent de dégager les inconnues, en un mot comment et dans quelles limites ces recherches sont-elles possibles, peuvent-elles conduire à une solution ? Elles ne sont possibles qu’en admettant a priori l’égalité numérique des deux escadres, puis l’égalité comme puissance d’attaque et de défense des navires qui les composent, et qui, après le premier choc, s’engageront deux à deux dans une série de combats singuliers. Cette double hypothèse s’impose comme une nécessité logique et aussi comme une conséquence forcée de l’influence chaque jour plus grande de l’élément matériel sur l’élément scientifique et professionnel, — de la machine en un mot sur le génie de l’amiral, qu’elle annule, sur l’habileté du capitaine, qu’elle amoindrit en réduisant les manœuvres possibles à un petit nombre de lignes mathématiques, sur l’ardeur, la volonté des matelots, devenant de plus en plus les instrumens passifs et inconsciens de la lutte.

Les traditions, l’histoire, comme le bon sens et la raison, n’ont ici qu’un enseignement. En dehors de la supériorité du nombre, à quelles causes assignent-elles le succès de ces engagemens héroïques, dont les conséquences ont pesé souvent d’un poids décisif sur les destinées du monde ? Au génie de l’amiral, trouvant sur le champ de bataille même une inspiration soudaine à l’instant comprise par ses capitaines, pénétrés de son esprit, à la supériorité de leurs manœuvres, à l’expérience pratique des équipages, à leur