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familles et l’honneur du pays, à donner une grande publicité à tous les faits et gestes des malfaiteurs. Ce système a causé d’étranges méprises en faisant considérer comme injustement ou trop sévèrement frappés des accusés dont on redoutait l’exemple.

Lorsque la sentence avait été prononcée et qu’elle entraînait la mort ou d’autres peines graves, le coupable subissait la question, qui se donnait à la Bastille par les brodequins et par l’eau. Dans la question par les brodequins, on asseyait le patient sur une chaise solide, les bras liés au dossier, les jambes droites et d’aplomb, serrées entre quatre planches fixées par de fortes cordes. On enfonçait à coups de maillet des coins de bois dans l’intervalle qui séparait les jambes; le nombre de ces coins était de quatre à la question ordinaire, de huit à l’extraordinaire. Dans la question par l’eau, on étendait horizontalement le patient sur une espèce de tréteau, les pieds et les mains attachés à des anneaux de fer scellés dans le mur. Le bourreau lui introduisait dans la bouche un entonnoir en corne dans lequel il versait à des intervalles plus ou moins rapprochés six pintes d’eau à la question ordinaire, et huit à l’extraordinaire. L’eau, en distendant les organes intérieurs, produisait d’affreuses douleurs, et ce genre de torture était peut-être le plus cruel de tous. Un médecin et un chirurgien se tenaient auprès du patient, afin d’intervenir dans le cas où l’excès de la souffrance mettrait sa vie en danger. La besogne du bourreau terminée[1], on plaçait le torturé sur un matelas devant un grand feu, et lorsqu’il avait repris ses sens, on lui faisait signer l’interrogatoire auquel les magistrats l’avaient soumis, dans les intervalles qui séparaient l’enfoncement de chaque coin ou l’absorption de chaque pinte d’eau. « La vue de ces signatures presque illisibles et arrachées par la torture, dit M. Ravaisson, fait frissonner. »

Le supplice suivait de près la question, il avait lieu par la potence, la hache et le bûcher : ce bûcher était formé de deux ou trois cents fagots arrosés de goudron. On plaçait au sommet le coupable solidement attaché par un collier de fer à un grand poteau; mais on ne le brûlait pas toujours : le président de la chambre écrivait quelquefois au bas de l’arrêt un retentum, c’est-à-dire l’ordre au bourreau de le mettre à mort avant d’allumer les fagots. Cet acte de pitié in extremis n’était point du goût de la foule, qui n’avait que trop rarement l’occasion de voir brûler un homme tout vif, et de peur qu’elle ne prît mal la chose, le bourreau, sous prétexte d’arranger

  1. Le bourreau de Paris en 1676 se nommait Guillaume; son métier n’avait point éteint en lui la sensibilité ; il tenait à honneur de ne pas faire souffrir les patiens, et quand ils donnaient, comme la Brinvilliers, des signes de repentir, il faisait dire des messes pour le repos de leur âme.