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la tête renversée, et, après qu’il avait été mis un linge ou une serviette sur le ventre de la femme, l’on y mettait la croix sur l’estomac; y avait aussi des cierges allumés qui étaient posés sur des sièges. » M. de La Reynie dans ses rapports donne des détails beau- coup plus circonstanciés sur d’autres messes dites par le même Guibourg et les prêtres affiliés aux malfaiteurs qui exploitaient la scélératesse et la crédulité du public, il cite les femmes qui se prêtaient à ces infamies, et, dans le nombre, il s’en trouve dont les noms appartiennent à l’histoire; mais ici nous devons nous arrêter en renvoyant aux textes eux-mêmes, car nous nous trouvons en présence de faits tellement outrageans pour la morale et la raison qu’ils dépassent tout ce que les imaginations les plus souillées peuvent rêver de plus monstrueux[1].

On trouve çà et là dans les enquêtes et les interrogatoires des détails qui font supposer que des complots avaient été formés à diverses reprises pour attenter à la vie de Louis XIV; mais la chambre ardente, malgré les plus actives recherches, n’a jamais pu réunir des preuves suffisantes, ou peut-être, après les avoir acquises, a-t-elle arrêté les poursuites, pour ne point remonter jusqu’à des coupables qui tenaient une grande place dans le royaume. Ce qui est certain, c’est que des relations très intimes s’étaient établies entre les empoisonneuses et quelques femmes en renom à la cour, que Fontanges et Lavallière n’ont échappé que par hasard à la haine de leurs rivales ou de leurs ennemis, et que la comtesse de Soissons, Marie Mancini, a été dûment atteinte et convaincue d’avoir voulu faire opérer la Voisin contre La Vallière, de concert avec Mme d’Alluye, qui, après l’avoir servie dans ses amours avec le roi, avait aussi voulu la servir dans sa vengeance. Le 23 janvier 1680, la comtesse de Soissons fut décrétée de prise de corps, ainsi que Mme d’Alluye; mais Louis XIV ne put se résoudre à livrer à la justice la femme qu’il avait si tendrement aimée. Il ajourna la signification des décrets rendus par la chambre, et fit avertir les deux accusées par le duc de Bouillon; elles s’enfuirent dans la nuit. La mère du comte de Soissons, Mme de Carignan, qui avait toujours méprisé sa belle-fille, dont elle blâmait sévèrement la conduite et qu’elle soupçonnait d’avoir empoisonné son fils, voulut sauver au moins l’honneur de la famille; elle se rendit à Versailles pour solliciter l’indulgence, et le roi lui répondit avec un profond sentiment de tristesse : « Madame, j’ai voulu que la comtesse se soit sauvée; peut-être en rendrai-je compte à Dieu et à mes peuples. »

Dans les premiers mois de l’année 1681, la chambre ardente

  1. Voyez entre autres t. VI, p. 420.