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tiare ? Avignon ressemblait à Babylone, les filles d’Israël n’y manquaient même pas, seulement ce n’était ni pour pleurer ni pour gémir qu’elles venaient s’asseoir sur les rives de son fleuve. Cette vie d’amusemens, de faste et de luxure enflammait l’imagination de Pétrarque. Son père, chassé de Florence par la guerre civile, et sa mère Eletta Canigiani habitaient Carpentras. Il reçut là ses premières leçons de latin, mais non sans se livrer à de fréquentes et rapides escapades du côté d’Avignon, où, bien autrement que les beaux yeux de la grammaire, de la dialectique et de la rhétorique, ses instincts et ses désirs curieux l’entraînaient.

Ses études préliminaires achevées, son père le dirigea sur Montpellier, terre classique de la jurisprudence et des troubadours, puis sur Bologne. Est-il besoin de dire qu’à Montpellier Pétrarque négligea la science du droit pour ne s’occuper que du bel art des vers, respirant la fleur bleue en plein terroir ? C’était sa vocation, il s’y appliquait malgré son père, qui voulait faire de lui un jurisconsulte. Ces sortes de débats se reproduisent trop souvent pour qu’on s’en étonne ; mais Pétrarque est ergoteur de sa nature, il faut qu’il se disculpe d’un tort que nul ne songe à lui reprocher : que la postérité le sache bien, et de peur qu’elle n’en ignore, il l’écrit dans une longue lettre à son adresse. « L’autorité des lois, dit-il, est en soi la chose la plus sainte, malheureusement les hommes l’ont pervertie, et je n’ai pu prendre sur moi de pousser à fond l’étude d’une science que mes principes ne m’eussent point ensuite permis de mettre en pratique. » Tout cela par cette vanité de ne point avouer qu’un poète est un poète, et peut bien se passer d’être autre chose ; mais que de sacrifices Pétrarque ne fait-il au sophisme ! Son père tenait pour la science positive, et voulait qu’il n’eût entre les mains que des livres de droit, tandis que lui n’aimait que Virgile et Cicéron. La musique des vers, les belles résonnances d’une prose éloquente, le charmaient. Cependant de Marseille il passe en Italie, poursuivant son rêve de poésie et de beau langage. À Bologne, la nouvelle de la mort de ses parens vient l’atteindre. Aussitôt lui et son frère Gherardo rebroussent chemin du côté d’Avignon afin d’y recueillir un très mince patrimoine qu’ils trouvent écorné par les mains d’un curateur déloyal.

Une seule ressource leur restait : l’église, moyen infaillible à cette époque, voie directe menant au crédit, au pouvoir, à tous les honneurs comme à toutes les jouissances de la vie. Gherardo, le plus jeune des deux, n’hésite point ; nous le voyons à l’instant s’enfoncer dans un cloître, et pour jamais disparaître de l’histoire. Quant à Francesco, lui aussi voulait bien se faire d’église, mais le compagnon n’était pas d’humeur à renoncer lestement aux joyeu-