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qui leur ressemble tant, — ne dépendaient pas du vent qui souffle. Ses Lettres familières, ses Dialogues, forment une lecture délicieuse et que je recommande aux amateurs de bonne latinité. Vous croiriez lire un écrivain de la période d’Hadrien ; ce n’est pas du Cicéron, c’est du Pline le Jeune. Cette langue-là coule de source. Il s’y complaît dans la clarté, le nombre, l’abondance, tandis que les sonnets, les canzone, lui coûtent mille efforts et, sous les fleurs dont il les sème à pleines mains, sentent la lampe de travail.

Spectacle singulier de voir à son inspiration ce modèle des lyriques et des amans ; ne dirait-on pas plutôt un ouvrier à sa besogne ? Il combine son enthousiasme à tête reposée, trace des scénarios : « Ici de l’harmonie, là du pathétique ; veiller surtout au tercet final qui doit frapper le grand coup, c’est la règle. » Ailleurs viennent les notes et les commentaires : « J’ai commencé ce sonnet, — Domino jumenté, — le 10 septembre au lever du jour, après mes prières du matin. — Hoc placet, 30 octobre, dix heures du matin ; 20 décembre au soir : — Non, décidément, cela ne me satisfait pas. Corrections interrompues, on m’appelle pour le dîner, mais j’y reviendrai ; — 18 février, neuf heures : — Cela me semble maintenant bien aller, il faudra néanmoins revoir plus tard : vide tamen adhuc ! » Et le sentiment, au milieu de toutes ces épreuves et contre-épreuves, que devient-il ? Oh ! le sonnet ! je n’en voudrais pas médire, mais quelle malencontreuse forme quand on l’emploie autrement que comme jeu d’esprit ! Et penser que le lyrisme italien à son début n’a que cet instrument, qui doit servir, suffire à tout : élégie, hymne, satire, épigramme et chanson ! Ces deux quatrains amenant huit rimes obligées, ces deux tercets rimant entre eux également, imagine-t-on une combinaison plus tyrannique, et quelle idée avoir d’une inspiration qui se met ainsi aux entraves à perpétuité ? Qu’un poète s’essaie la main à parfaire un sonnet, c’est œuvre d’art et j’y applaudirai ; les fanatiques vont s’extasiant sur la difficulté vaincue. Qu’ils y regardent d’un peu près, et ils verront cette habileté si merveilleuse avoir ses défaillances. Alors arrivent les répétitions, les circonlocutions et tous ces mots vides de sens que la rime appelle. D’ailleurs la difficulté vaincue est un mérite qu’on aurait tort de s’exagérer. Si la science et le contre-point en pareil cas pouvaient suffire, nous n’aurions aujourd’hui que de grands poètes, car tout le monde s’entend à façonner un sonnet, et les essaims de rimes accouplées nous assourdissent ; mais, grâce à Dieu et par malheur pour l’heure présente, la poésie lyrique n’est point cet art qu’on se figure : elle ne vit point seulement de forme, il lui faut des idées, une âme, un sentiment, et c’est un bien singulier oiseau qu’un sentiment capable de s’embastiller de la sorte dans l’étroite cage du sonnet et d’y gazouiller sa vie durant.