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biographe. Après avoir, à l’usage des anciens tribuns, mené son triomphe par la ville, il revint dans la même pompe à Saint-Jean-de-Latran pour y recevoir les sept couronnes représentant les sept grâces du Saint-Esprit. De pareilles extravagances donnent l’éveil aux moins timides et découragent les plus résolus : on se regarde consterné, le dévoûment lâche pied et la réaction gagne du terrain, le tyran qui se sent menacé cherche à se défendre par la terreur ; c’est l’avant-dernière scène de la tragédie, l’ère de tuerie, de massacres, qui précède le dénoûment.

On en était à l’orgie de sang, quand Pétrarque jugea bon de se rendre à Rome et d’intervenir de sa personne ; d’ailleurs ce rôle de révolutionnaire consultant ne lui paraissait plus tenable. Il se voyait compromis des deux côtés. Rienzi, comme tous les tribuns antiques et modernes, voulait bien être conseillé dans le sens de ses projets ambitieux ; mais, une fois lancé à fond de train, les harangues modératrices ne l’atteignaient plus. Pour le pape, on conçoit quel devait être son mécontentement d’avoir ainsi prêté l’oreille à la politique d’un poète et, grâce à lui, pris en patience une série d’actes scandaleux préludant à la rébellion ouverte. Clément VI laissait éclater à tout propos sa mauvaise humeur contre le rhéteur malavisé dont l’enthousiasme l’avait aveuglé sur les menées démagogiques d’un fou furieux. La disgrâce devenait imminente, un voyage à Rome était indiqué.

V.

Avant de partir, Pétrarque prit congé de Laure, il la vit dans une maison d’Avignon et parmi des dames de connaissance : « elle avait le visage pâle et souffrant, une expression pleine de gravité, de tristesse où je crus lire je ne sais quel pressentiment d’un grand malheur. » Ici je prends une brassée de sonnets et je les effeuille, tâchant d’extraire un peu de vérité de tant de poésie. « Point de perles, d’ornemens, de couleurs joyeuses dans sa toilette ; plus de gaîté ni de sourire comme à l’ordinaire, elle ne plaisanta point, ne chanta point, et sa voix même, en causant, n’eut rien de la mélodieuse intonation des jours heureux. Son aspect, son maintieù, cet air de secrète compassion pour les autres qui se mêlait sur ses traits à l’expression d’une vive douleur personnelle, comment tout cela ne m’a-t-il pas averti ! » En la quittant, il cherche dans ses yeux une consolation au désespoir qui déjà le possède, il interroge ce beau regard,


Vago, dolce, caro, onesto sguardo !