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pays, fort imparfaitement préparé à les soutenir, les plus effroyables catastrophes. Les peuples tiennent peu de compte à leurs gouvernemens des malheurs dont ils les ont préservés; mais c’est à la sinistre lueur d’événemens subséquens, trop douloureux à rappeler, qu’il est équitable de juger le bienfait dont la France a été deux fois ainsi redevable au roi Louis-Philippe et à un de ses ministres. Chargé, durant l’absence de l’ambassadeur, de la délicate négociation de 1844, je pus apprécier tout ce que lord Aberdeen y apporta démesure, d’esprit politique et de sincère bienveillance à l’égard de la France. Sir Robert Peel, après la première explosion, seconda sans aucun doute pleinement les efforts concilians du secrétaire d’état, mais les deux collègues n’ont jamais apprécié la difficulté au même point de vue. Lord Aberdeen était résolu à se retirer du moment où tout espoir d’une solution pacifique et honorable s’évanouirait, et rien ne l’eût décidé à prendre part à une guerre nouvelle contre la France ou du moins contre le roi Louis-Philippe. Sir Robert Peel, en désirant non moins vivement le maintien de la paix, n’éprouvait pas les mêmes scrupules à diriger, fût-ce contre la France constitutionnelle, une guerre qui lui eût paru réclamée par les intérêts ou par l’honneur de l’Angleterre. Heureusement les conseils de la raison et du bon sens prévalurent de part et d’autre, et un arrangement honorable put être conclu à la satisfaction générale. On a beaucoup parlé à cette occasion de l’indemnité Pritchard. Il est constant que, dans le courant de la négociation comme à la fin, la pensée s’était produite de faire statuer par une commission compétente sur les souffrances et sur les pertes matérielles que l’ancien consul britannique avait, affirmait-il, éprouvées. À cette occasion, la somme assurément assez insignifiante de 25,000 fr. avait été indiquée comme le maximum qui pourrait lui être attribué de la part de la France; mais, le différend général réglé, on ne parla plus de la commission, et si M. Pritchard a jamais reçu une indemnité pour le détriment auquel il fut exposé, l’argent français n’y est point entré dans une proportion quelconque. Encore aujourd’hui pourtant nous voyons l’indemnité Pritchard citée parfois parmi les griefs invoqués contre un ministre et contre un souverain dignes l’un et l’autre de tous les hommages de la postérité.

Ces complications diverses étant ainsi résolues, le roi Louis-Philippe jugea le moment opportun pour rendre à la reine Victoria l’aimable visite qu’il avait reçue d’elle l’année précédente au château d’Eu. Il fut partout accueilli en Angleterre avec les plus cordiales et les plus chaleureuses démonstrations, et nul ne s’intéressa plus vivement au succès comme à l’agrément de son voyage que le premier ministre lui-même. Je rencontre dans mes papiers la lettre