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tout à l’évêque, homme d’un esprit très supérieur et assez analogue au sien, sans toutefois lui rien laisser deviner. « Mylord, s’écria-t-il en s’approchant de lui, vous voyez un homme qui vient d’assister à un lit de mort. — En vérité, répliqua l’évêque avec une figure de circonstance. J’espère que vous y aurez trouvé les sentimens si désirables en pareil cas. — En effet, reprit lord Stanley, jamais votre seigneurie elle-même ne se sera trouvée en présence de tant de résignation. » La chute du puissant gouvernement de sir Robert Peel était un événement si inconcevable que l’évêque, malgré toute sa pénétration, ne comprit les paroles de lord Stanley qu’en ouvrant son journal le lendemain.

J’étais alors chargé d’affaires à Londres. Les entretiens intimes de lord Aberdeen m’avalent bien fait pressentir la gravité extrême de la situation, et pourtant je ne pouvais me résigner à penser qu’un gouvernement, naguère encore si fort, pût aussi subitement disparaître. Dès que je revis le secrétaire d’état, je pus m’assurer qu’il regardait le sort du ministère comme complètement désespéré; mais, bien que les paroles du premier ministre fussent tout à fait conformes à celles de lord Aberdeen, je crus apercevoir dans son ton, dans son regard, une impression moins arrêtée. Je remarquai surtout le sourire avec lequel il me fit part de l’arrivée à Londres de lord Grey. Néanmoins lord John Russell, appelé sur-le-champ par la reine, n’hésita point, après quelques communications assez peu concluantes avec sir Robert Peel, à entreprendre la tâche de former un gouvernement libéral, et je dus faire mes adieux officiels aux ministres démissionnaires. Je reproduis leurs réponses, que j’ai toujours conservées parmi mes plus intéressans souvenirs, et qui représentent fidèlement les sentimens réciproques dont les deux cours étaient alors animées.


(Traduction.) « Whitehall, le 12 décembre 1845.

« Mon cher comte de Jarnac, lord Aberdeen n’a pas manqué de me faire part du bienveillant message dont vous l’aviez chargé pour moi.

« Un des principaux objets que je me suis proposés dans la vie publique, que je fusse ou non au pouvoir, a été de calmer les animosités et les jalousies, comme d’établir des relations amicales entre l’Angleterre et la France. J’ai ainsi agi d’après une conviction profonde qu’une politique pareille était essentielle au bonheur et à la prospérité des deux pays, comme à la grande cause de la paix et du progrès social dans le monde entier. Il y aurait eu peu d’espoir de la voir réussir, si, à une période critique, la France n’avait eu l’heureuse fortune de posséder un souverain et un ministre animés par des sentimens correspondans et combinant de rares qualités de sagacité et de courage. Soyez-en assuré, tant que je serai dans la vie publique, soit au pouvoir, soit en dehors