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compagne, la famille royale la plus brillante, la plus exemplaire de l’Europe, tout avait disparu devant l’ouragan révolutionnaire; mais cette journée néfaste comptera dans nos annales moins encore par tous les bienfaits qu’elle a ravis au pays que par les maux permanens qu’elle lui a légués. C’est alors que, d’une fenêtre de l’Hôtel de Ville, une poignée d’hommes inconnus ou trop connus dans la politique ont proclamé, au sein d’une population absente et consternée, que le gouvernement du pays serait enlevé à l’intelligence, à l’expérience, à tous les titres acquis pour l’exercer dignement, et attribué dorénavant à l’ignorance et à l’incapacité les plus flagrantes. Assurément les peuples sont toujours libres de tenter à leurs propres dépens les plus redoutables aventures, mais qu’ils ne s’étonnent point d’être précipités ainsi dans des abîmes sans fond d’humiliations et de souffrances. La révolution de 1848 produisit à Londres, sauf chez lord Palmerston et chez ses plus intimes adhérens, un sentiment de profonde et douloureuse consternation.

Pendant quelques jours, la société, le monde politique, chacun se portait à notre ambassade pour offrir aux victimes des témoignages de condoléance ou des services empressés. Plus affligée que personne, la reine Victoria m’avait chargé, dès la première nouvelle de leur débarquement en Angleterre, de mettre à la disposition des illustres exilés la royale demeure de Claremont, où ils ont trouvé en effet, durant leur éloignement de la France, l’asile le plus paisible et le plus digne. Cependant aucune des visites que je reçus alors n’a laissé dans mes souvenirs une plus profonde impression que celle de sir Robert Peel. Notre entretien fut très intime et très prolongé. Après m’avoir exprimé ses regrets personnels et politiques avec une expansion qui n’était point dans ses habitudes, il m’interrogea sur les circonstances qui avaient précédé et accompagné l’explosion révolutionnaire et surtout sur les griefs qui en avaient été les causes ou les prétextes. Notre suffrage électoral n’avait-il point été indûment restreint? La réforme demandée par le cri populaire n’était-elle point au fond juste, acceptable, et la résistance qu’y avait opposée le gouvernement avait-elle été habile, prudente et même légitime? A mesure qu’il posait ces questions, sir Robert Peel inclinait la tête pour m’écouter comme si chacune de mes paroles avait été aussi digne d’être recueillie que les siennes. Je commençai en me récusant quelque peu. Les circonstances ne m’avaient guère permis d’être mêlé à la politique intérieure du pays : c’était surtout au service de ses intérêts à l’étranger que tous mes efforts comme toutes mes études avaient été jusqu’alors consacrés. Toutefois, je n’hésitais pas à le dire, ce n’était point du côté des défenseurs du gouvernement constitutionnel de la France, c’était du côté de ses agresseurs qu’il était équitable de rechercher les torts. Avec