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Je pourrais multiplier ces témoignages du dévoûment affectueux que manifestait sir Robert Peel pour nos illustres exilés. Le roi Louis-Philippe voulut y répondre en rendant un jour visite à l’ancien ministre dans son château de Drayton Manor. Les toasts échangés alors s’inspirèrent de l’affection réciproque qui animait plus que jamais ces deux célèbres personnages dans leur commune infortune politique. « Sire, dit sir Robert Peel, nous vous avons dû la paix du monde. Chef d’une nation justement susceptible, justement fière de sa gloire militaire, vous avez su atteindre ce grand but de la paix sans jamais sacrifier aucun intérêt de la France, sans jamais laisser porter aucune atteinte à son honneur, dont vous étiez plus jaloux que personne. C’est surtout aux hommes qui ont siégé dans les conseils de la couronne britannique qu’il appartient de le proclamer. »

Mais ce n’était point à l’égard de notre famille royale seulement que sir Robert Peel tenait à faire preuve de ses fidèles sentimens. Il voulut recevoir aussi M. Guizot à Drayton Manor, et il me pressa de faire partie de la sympathique réunion qu’il conviait à cette occasion. Longtemps très habile tireur, sir Robert Peel avait beaucoup plus de goût pour la chasse et pour les plaisirs de la campagne que pour les autres amusemens de la vie; mais, sérieux en toutes choses, il s’occupait surtout du côté sérieux de l’agriculture, notamment du drainage, et comptait parmi les agronomes les plus entreprenans. Sa belle et somptueuse demeure, ornée, comme je l’ai déjà indiqué, des chefs-d’œuvre de l’école flamande et anglaise, servait de rendez-vous à des esprits d’élite de toutes les professions. Sa charmante compagne, qu’il a toujours tendrement appréciée, faisait les honneurs avec la plus touchante bienveillance et, ainsi secondé, ainsi entouré de ses nombreux enfans, sir Robert Peel présentait un des types les plus accomplis de la vie domestique et patriarcale de l’Angleterre. Rien de plus saisissant que de voir, durant quelques jours, les deux célèbres hommes d’état en relations constantes, quelquefois même en conflit amical. Je me souviens surtout d’une discussion qui s’éleva un soir entre eux sur la propriété littéraire et sur la législation la plus propre à la régler et à la défendre. Le grand écrivain se prononçait hautement pour les droits et pour les prérogatives de ses confrères, le lecteur assidu pour les intérêts du public, — et, bien que, pour être parfaitement compris, M. Guizot dut parler en anglais, sa discussion n’en était ni moins lucide, ni moins concluante. J’ai rappelé les témoignages nombreux de sollicitude et de sympathie personnelle que nous donnait ainsi sir Robert Peel. Jusqu’ici toutefois il n’avait point pris la parole en public pour proclamer ces sentimens et pour combattre la tendance trop ouvertement manifestée par lord Palmerston à encourager dans