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toute l’Europe les entreprises et les progrès du parti révolutionnaire. M. Guizot m’en exprimait parfois son étonnement. Je l’engageai à s’en ouvrir lui-même et sans réserve avec celui qui, en dépit des derniers déchiremens, restait toujours le chef accrédité de la politique conservatrice de l’Angleterre au dehors. Une longue promenade que nous fîmes ensemble fournit l’occasion désirée. Je crus devoir me retirer un peu quand l’entretien commença, mais il me semble que je vois encore le geste impérieux de M. Guizot, développant sa pensée avec la véhémence de ses convictions, et l’attitude de pensif recueillement familière à son interlocuteur. Plus tard, M. Guizot me dit qu’au fond il avait prêché un converti et que sir Robert Peel chercherait une circonstance propice pour saisir le parlement de l’ensemble de la question, sur laquelle il partageait complètement nos vues et nos regrets.

Cette occasion, sir Robert Peel dut l’attendre quelque temps encore. Le parti conservateur s’était reformé, en dehors de lui, sous la direction de lord Derby dans la chambre des lords, de M. Disraeli dans la chambre des communes, et la réconciliation prévue, annoncée, d’abord par les plus sagaces et les mieux informés, devenait de plus en plus désespérée. D’autre part, les chefs whigs ne montraient aucun empressement à ouvrir leurs rangs devant un aussi formidable auxiliaire, qui restait ainsi singulièrement isolé entre les deux grandes phalanges traditionnelles. Je demeure convaincu toutefois que la conversation à laquelle je viens de faire allusion a été l’origine et le point de départ du magnifique discours sur la politique étrangère de l’Angleterre, prononcé la veille même de sa mort par l’éminent orateur et dont nous avons rappelé, dans une récente étude, les traits principaux. En quittant Drayton Manor, nous laissions sir Robert Peel dans tout l’éclat de sa florissante santé, dans toute la plénitude de ses facultés transcendantes. Qui nous eût dit alors que nous ne devions jamais le revoir! Dix-huit mois plus tard en effet, au lendemain même d’un de ses plus éclatans triomphes oratoires, le grand patriote fut subitement enlevé, comme on le sait, à la confiance et à l’affection de son pays, par une chute de cheval dans le parc de Saint-James. D’innombrables hommages furent prodigués à sa mémoire, mais tous durent provenir du pays lui-même. En proposant à la chambre des communes qu’un monument lui fût élevé dans la cathédrale de Westminster, lord John Russell exprima le regret qu’éprouvait la souveraine de ne pouvoir décerner aucune des récompenses héréditaires que la couronne britannique confère ordinairement à de semblables serviteurs, mais le testament de sir Robert Peel contenait la formelle injonction suivante : « J’espère et je désire sincèrement qu’aucun