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du bonheur, appréciés déjà ici même par notre collaborateur et ami, M. Émile Montégut, lisez l’ouvrage qu’il a intitulé les Problèmes du dix-neuvième siècle. Politique, littérature, science, philosophie, religion, tels sont les sujets dont il indique la situation présente et s’efforce de conjecturer l’avenir ; eh bien ! à propos de ces choses si diverses, on le voit toujours attentif à la dignité, au perfectionnement, c’est-à-dire encore une fois au bonheur de la personne humaine. Tantôt il s’agit du bonheur individuel, tantôt c’est le bonheur de la communauté qui est en cause. Le plus considérable de ses écrits, l’Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, a pour inspiration première la recherche des lois qui peuvent assurer le bonheur et la dignité des hommes réunis en société. Sur toutes ces questions, nous sommes généralement de l’avis de M. Paul Janet quand il affirme une croyance, quand il établit un principe, en un mot quand il augmente le fonds des connaissances philosophiques ; nous ne nous séparons de lui que par notre désir d’aller plus loin. Nous voudrions que sa dialectique pût atteindre quelque chose de plus dans le champ immense de la vérité. Des ailes ! des ailes ! s’écriait le poète. C’est le poète, ce poète inconscient caché en chacun de nous, qui se laisse aller à ces mouvemens d’aspiration ; nous oublions que tout philosophe n’est pas un inventeur, et qu’auprès des imaginations aventureuses il y a les explorateurs méthodiques. Les conquérans de la science n’ont pas tous les mêmes allures ; les uns, en de rapides éclairs, aperçoivent des mondes où jamais peut-être ils ne bâtiront une demeure, les autres s’avancent pas à pas, circonspects, défians, regardant à droite et à gauche, mais assurant chacune de leurs démarches, et possédant bien ce qu’ils ont une fois touché. C’est à ce dernier groupe que se rattache M. Paul Janet, vrai modèle du tacticien philosophe. Or, si un écrivain de ce tempérament en vient un jour à prononcer des paroles qui ouvrent à la pensée des horizons nouveaux, on peut être convaincu d’avance que ce ne seront pas là des paroles de hasard.

Voilà précisément ce qui m’attire vers le nouvel ouvrage que vient de publier M. Paul Janet, les nouveautés qu’il annonce acquièrent un intérêt plus élevé par cela seul qu’elles viennent de lui ; elles passeraient inaperçues dans une autre bouche, on les remarque dans la sienne parce qu’elles attestent un effort et représentent une conquête. Il s’agit de la morale et de tout ce que renferme ce mot. On a beaucoup parlé dans ces derniers temps de la morale indépendante, on a mis beaucoup d’ardeur, beaucoup de passion à fonder des systèmes de morale qui n’eussent aucun rapport avec la pensée religieuse. M. Paul Janet n’a point de ces partis-pris. Il cherche quelles sont les règles de nos actions, il s’élève à la loi qui les renferme