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finit par triompher; la Banque de France, pressée par la nécessité, se décida à élever rapidement le taux de l’escompte, d’autant plus rapidement qu’elle avait trop tardé : elle le porta successivement à 7, 8 et même 10 pour 100. La spéculation fut obligée de s’arrêter; elle ne put plus soutenir, dans les conditions nouvelles qui lui étaient faites, un mouvement commercial factice. Les marchandises baissèrent de prix, et reprirent le chemin de l’exportation, car c’est là le côté particulièrement fâcheux des excès de spéculation : lorsqu’ils se produisent dans un pays, ils ferment le marché à l’exportation et le rendent plus ouvert à l’importation. On a des prix qui ne sont plus en rapport avec ceux du dehors, on ne peut pas vendre à cause de l’élévation de ces prix, et on achète toujours parce qu’on trouve à l’étranger meilleur marché que chez soi. De là une situation anormale qui fait monter bien vite le change à un taux excessif.

Aujourd’hui la situation est toute différente. Il n’y a point eu de spéculation exagérée, point de ce que les Anglais appellent over-trade ; excepté un moment en 1871 où, par suite de fausses manœuvres, le change s’éleva un peu, il nous a été presque constamment favorable, et, lorsque l’émission atteignait 3 milliards, il était à 25,35 sur l’Angleterre, c’est-à-dire à la limite où cesse l’exportation du numéraire. Les 3 milliards de monnaie de papier sont un bien gros chiffre assurément comparé à celui des 800 millions de la crise de 1863 et 1864, mais ce n’est pas le chiffre qu’il faut considérer, c’est la situation elle-même. Dans ces derniers temps, nous n’avons point émis de papier pour suppléer aux espèces métalliques qui s’en allaient, nous n’avons point cherché à nous créer un instrument de spéculation; nous avons tout simplement remplacé le numéraire qui existait, mais qui ne se montrait pas. C’est à ce point qu’aujourd’hui, à bien considérer les choses, avec la quantité d’or et d’argent qui se trouve toujours en France, et qui, d’après les avis les plus compétens, n’est pas inférieure à 5 milliards, peut-être même à 6, la circulation fiduciaire ressemble en quelque sorte à celle des banques de dépôt d’autrefois. Elle est garantie par une réserve métallique plus qu’équivalente; seulement cette réserve, au lieu d’être dans les caisses de la Banque, où déjà du reste elle commence à s’amasser, est répandue dans le pays, mais elle est immobilisée de la même manière et ne sert pas davantage. Ainsi d’une part des affaires commerciales parfaitement régulières, de l’autre un stock métallique considérable qui n’a Jamais quitté le sol, voilà les causes pour lesquelles le papier-monnaie a pu se maintenir constamment au pair, tout en atteignant des proportions énormes. Ceux qui argueraient des 3 milliards d’hier et des 2 milliards 1/2 d’aujourd’hui pour dire qu’on aurait bien pu dépasser la limite de