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elle est le fond de toutes nos actions et surtout de nos idées. Toutes les fois que l’âme pense, elle fait usage des pensées antérieures, et elle ne peut s’en séparer. Nous nous identifions pour ainsi dire avec les notions que nous avons acquises, et séparer la mémoire de l’intelligence ne doit être qu’un procédé analytique, excellent pour l’étude, détestable si on veut en faire une réalité. On pourrait donc dire qu’il y a des mémoires différentes s’appliquant à tous les objets que nous connaissons, mais qu’il n’y a pas une mémoire unique. Nous voyons en effet que rien n’est plus capricieux que la mémoire. C’est un fait vulgaire que chaque individu, selon ses aptitudes, retient certaines choses bien plus facilement que d’autres. Tel se rappelle les vers qui ne peut retenir la prose; un autre aura la mémoire des chiffres, un autre aura la mémoire des lieux, et on ne pourra cependant faire des chiffres, des lieux, des vers ou de la prose une faculté spéciale. Il en est tout autrement pour le langage, et si le langage est de la mémoire, c’est une mémoire si spéciale, et elle a pris un tel développement dans la vie. des individus et l’histoire de l’humanité, qu’il ne paraît pas légitime de la confondre avec ces autres mémoires. Du reste nous voyons par l’étude de l’aphasie qu’elle est frappée isolément; les aphasiques jouent aux échecs et aux cartes, s’intéressent à leurs affaires, les comprennent, les discutent à leur manière par des gestes multipliés et un langage mimique qu’ils varient le plus possible. Peu importe d’ailleurs qu’on appelle l’aphasie amnésie verbale, il suffisait de reconnaître que la mémoire verbale est une faculté particulière capable d’être lésée au milieu de la conservation de nos autres facultés. Cependant nous ne ferons même pas cette concession à l’opinion de M. Piorry. Ne voyons-nous pas que le malade qui répète sans cesse cousini, et ne peut dire ni cou ni sisi séparément, a perdu autre chose que la mémoire ? La femme aphasique qui disait : bonjour, monsieur, à chaque instant n’a jamais pu dire : monsieur, bonjour ; pourtant elle avait conservé la mémoire de ces deux mots.

Il ne faut pas croire en effet que toutes les facultés de l’intelligence soient soumises sans cesse à la volonté. Il y a une certaine dose d’automatisme plus ou moins analogue à ce que les physiologistes de notre siècle ont appelé l’action réflexe. On peut, au point de vue théorique, considérer le système nerveux comme constitué par une cellule sensible où vient se rendre un nerf sensitif, et qui est reliée à une cellule motrice d’où part un nerf moteur. Lorsque le nerf sensitif est excité par le pincement, la brûlure, ou toute autre cause, l’excitation se transmet à la cellule motrice, qui fait contracter un muscle par l’intermédiaire du nerf moteur. Dans ce cas, la volonté, l’intelligence, la conscience, ne sont pour aucune part dans la production du mouvement. C’est une action fatale et